jeudi 28 mai 2009

Reportage à l'«épicerie terroriste» de Tarnac: la libération de Coupat relance la bataille politique


Paru sur médiapart.fr Le 28 mai 2009

Par David DUFRESNE



Ce matin, à Tarnac, les pompes à essence du Magasin général sont à sec. C’est à cause du beau temps, à cause des débroussailleuses et des tondeuses qui tournent à plein régime. «Ça peut pas durer, rigole Alain, l’un de ceux qui tiennent le bar-épicerie-terroriste du village : l’essence est partie plus vite que le diesel, et le diesel, pour les cocktails Molotov, ça le fait pas !»

La voici enfin l’épicerie de Tarnac. Depuis le temps qu’on en parlait, qu’on se l’imaginait. Elle est là, grande ouverte. Comme elle l’est sept jours sur sept. Hier soir, dans l’unique petite salle, il y avait foot sur écran géant. D’ordinaire, sur l’écran, il y a des films, des projections débats, et dans la salle, des soirées lecture. Hier soir, c’était Barcelone-Manchester, 2-0.

Et puis, à 22h, comme dans d’étranges prolongations judiciaires, la rumeur est tombée : «Julien va être libéré.» Ils ont bu un coup, à trois ou quatre, et sont allés se coucher. Parce que ce matin, il y avait du boulot. L’épicerie à ouvrir, les repas ouvriers soupes-entrées-plats-desserts à mijoter, le camion de tournées à réviser, le primeur qui est venu livrer à 8h, «parfois c’est à 6h». Et même, pour certains, une petite partie pêche, aux aurores. Et, enfin, les premiers habitués. Un vieux monsieur courbé, et rieur. Un ancien punk courbé, et rieur aussi.

L’épicerie, au fond, est comme on se l’imaginait : improbable, imperturbable, indémodable même si la nouvelle édition du guidePetit Futé, dit-on, fait du village un haut lieu terroristico-touristique. «Si on fait pas tourner la boutique, c’est la mort du bourg», poursuit Alain.

Alain, avant, travaillait en Belgique. Il est venu aider ici, quand l’affaire a éclaté, «dans l’idée que ça durerait trois semaines, un mois». Six mois plus tard, l’ancien jardinier est toujours là. Sur les murs du café, des affiches. «Crachez ici, c’est pour nos fichiers ! Quelques bonnes raisons de refuser le fichage ADN.» Ou : « 17 mai, moules frites à volonté au magasin général.» De Coupat Julien, bientôt libéré, on parle peu, au fond.

Ici, au comptoir, on raconte qu’au plus fort des événements, on en a vu tituber des journalistes. Ou plutôt, on en a fait tituber. «C’était un peu le sport local, les habitués payaient leur tournée générale. C’était une façon de dire aux journalistes: “Vous, vous rigolez avec nous, on va rigoler avec vous".» Une façon comme une autre d’essayer de reprendre la main sur le cours des choses. Dérisoire et amusante, fière et improvisée. Aux journalistes duMonde qui lui demandaient, lundi dernier, «Pourquoi Tarnac ?», Coupat répondait : «Allez-y, vous comprendrez. Si vous ne comprenez pas, nul ne pourra vous l’expliquer, je le crains.»

Les journalistes, justement. Ce jeudi matin, ils ont déjà débarqué. Une télé locale, un brin embarrassée. Qui filmer, comment, «vous voulez bien»? La méfiance est de mise, la méfiance est quasi totale, la méfiance est souvenir. Celui du 11 novembre 2008 au matin, lors des arrestations, quand le village était quadrillé police-gendarmes-caméras. Au coin de chaque rue, ou presque, les images des 20h d’alors remontent à la surface. Devant la mairie, devant l’épicerie : Tarnac, c’est à la fois plus grand et plus rude que vu à la télé.

Tout ici semble dire qu’on n’oubliera rien de ce qui s’est passé. Pour Raph, du comité de soutien : «La question de l’anti-terrorisme reste entière.» Et la distance affichée semble être bien plus qu’une alliance taiseux paysans/taiseux militants, trop évidente : «C’est une façon de s’inscrire dans notre temporalité», affirme Ghislain (pseudonyme), un des habitants du Goutailloux, la désormais fameuse ferme «des Tarnac». Ce matin, les premières radios sont montées «là-haut» dès 9h. «Un type est descendu de sa bagnole et il m’a dit : “Je viens vous apporter la bonne nouvelle… Coupat est libéré”.» Comme si, ici, il n’y avait pas de moyens de s’informer. Comme si, ici, la libération prochaine de Coupat n’était que ça : une bonne nouvelle.

«Nous voulons affirmer le conflit»


A la terrasse du Magasin général de Tarnac, c’est pourtant bien de cela dont il faut parler. Comment interpréter la nouvelle? Freiderich (pseudonyme), un de ceux qui, il y a quelques jours encore, rendait visite à Coupat à la prison de la Santé, semble comme tous les autres un peu détaché. «L’émotion, les grandes rencontres, les belles photos, le Spectacle», très peu pour lui, très peu pour eux : «On sait bien que ce n’est pas là que les choses se passent. La vraie question, c’est celle de la durée. C’est la durée qui produit des effets. Nous avons l’impression que nous sommes partis pour des années comme ça, dans cette procédure. C’est ça, l’une des victoires de la justice : sa lourdeur. On sait très bien comment les choses se déroulent, et traînent en longueur, comment on fait pour que les procès soient tenus des années plus tard pour désactiver les débats.»

Autrement dit, au bar-épicerie de Tarnac, même en un moment pareil, surtout en un moment pareil, on cherche à marquer sa différence. A ne pas être beau joueur. A ne rien céder, ni à la justice ni, peut-être, à soi-même. Et surtout pas au rouleau compresseur de l’agenda judiciaire et des caméras qui vont avec: «Quand tu es dans une logique anti-répression, tu as déjà perdu,explique Ghislain. Tu es sur la défensive. Nous, nous voulons être dans une autre logique. Nous voulons nous organiser pour, oui, représenter une forme de menace, mais pas celle qu’on nous prête. Nous voulons le faire joyeusement, sans se faire écraser.» Une pause, et puis il reprend: «Nous voulons affirmer le conflit.»

Julien Coupat pourrait être libéré dans la journée. A Paris, devant la prison de la Santé, les caméras sont en place.







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