mardi 29 mars 2011

Tarnac : nouvelle tentative de la défense pour faire annuler une partie de l'enquête



paru le 29/03/11 sur lemonde.fr

Entretien avec Patrice Spinosi, avocat de Julien Coupat.




La défense du groupe de Tarnac, ces dix personnes mises en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste après des sabotages de lignes SNCF fin 2008 , a fait, mardi 29 mars, une nouvelle tentative pour faire annuler une partie de l'enquête qu'elle estime entâchée d'irrégularités. L'un des avocats de Julien Coupat, Me Patrice Spinosi, a plaidé devant la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) – nouvelle procédure permise par la révision de la Constitution et rendue célèbre par le récent procès de Jacques Chirac – sur laquelle la Cour pourrait se prononcer dès mercredi matin.

Sur quels points cette question prioritaire de constitutionnalité portait-elle ?

Dans le dossier, au début de l'instruction, le domicile de Julien Coupat a été placé sous surveillance par les policiers en août 2008 sans autorisation. Nous avons donc demandé l'annulation des pièces de la procédure liées à cette surveillance. Mais cette nullité a été refusée en octobre 2010 par la cour d'appel de Paris, non parce qu'elle a estimé que cette surveillance était légale : elle n'a pas jugé sur le fond. Elle a rejeté la nullité, car cette demande a été faite trop tardivement dans l'instruction. En France, aujourd'hui, la défense n'a que six mois pour relever la nullité de pièces du dossier. Et dans cette affaire, elle n'a été demandée qu'au bout d'un an et demi environ. Mais le parquet, lui, a jusqu'à la fin de l'instruction. Il y a donc ici atteinte au principe d'égalité des armes. Notre QPC consiste donc à exiger que désormais, sur ce point, les droits de la défense s'alignent sur ceux de l'accusation, et que n'importe quel mise en examen puisse demander la nullité d'une pièce jusqu'à la fin de l'instruction. Car imaginez, de façon plus générale : un mis en examen change d'avocat au bout d'un an et celui-ci remarque des irrégularités dans le dossier que son prédécesseur n'avait pas vues. Aujourd'hui, il ne peut pas en demander la nullité.

Ce que vous reprochez à la procédure judiciaire en cours, c'est que personne n'a jamais remis en cause cette surveillance sans autorisation ?

Oui. Il est quand même extraordinaire qu'on doive se battre pour qu'un juge veuille bien examiner le contenu du dossier qui contient un certain nombre de pièces irrégulières. On est là dans une affaire ultra-sensible, où les policiers ont commis de nombreuses fautes. On ne peut quand même pas condamner quelqu'un sur la base de pièces obtenues de façon illégale ! Et cette loi qui limite le temps laissé à la défense pour dénoncer des pièces a jusqu'ici empêché qu'un juge se penche sur le fait que les policiers n'étaient pas autorisés à surveiller le domicile de Julien Coupat. Et qu'ils ont commis une atteinte grave à ce droit fondamental qu'est en France le droit à la vie privée. Pour une simple raison de délai, les pièces obtenues sans autorisation seraient recevables ? C'est inacceptable.

Vous avez plaidé mardi devant la Cour de cassation. Quelle est la prochaine étape ?

La Cour doit décider si elle transmet, ou pas, notre QPC au Conseil constitutionnel. On pourrait avoir la réponse dès mercredi matin. Si la réponse est négative, alors nous pourrions saisir la Cour européenne des droits de l'homme. Si la réponse est positive, alors le Conseil constitutionnel devra examiner notre question. Il faut changer cette loi qui impose ce délai de six mois et aligner le régime de l'ensemble des parties sur celui du parquet. Cette procédure existait d'ailleurs dans le droit français jusqu'en 1993, et n'a été changée que pour des questions d'organisation, de gestion administrative. Cela ne peut prévaloir sur le respect d'une liberté fondamentale. Si ce verrou était remis en cause, alors cela nous permettrait une nouvelle saisine de la chambre d'instruction qui pourrait entraîner l'annulation d'une partie importante du dossier contre Julien Coupat et les autres mis en examen.



Pour en savoir plus :

Propos recueillis par Aline Leclerc

Qu'est-ce-qu'une QPC ?

La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été instaurée par la révision constitutionnelle de juillet 2008 et est entrée en vigueur le 1er mars 2010. Elle permet à un justiciable de saisir le Conseil constitutionnel sur une loi ou un article de loi en vigueur. Ce recours passe par le filtre du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation.





dimanche 27 mars 2011

Tarnac: trois plaintes visent la police antiterroriste




Paru le 26 mars sur mediapart.fr
Par Louise Fessard

Après la reconstitution de la nuit du 13 au 14 janvier 2011 qualifiée de «simulacre» par leurs avocats, les dix mis en examen du groupe de Tarnac s'attaquent aux deux pièces maîtresses de l'enquête menée par le juge antiterroriste Thierry Fragnoli sur le sabotage de la ligne TGV-Est dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008. A savoir la déposition anonyme du 14 novembre 2008 qui présentait Julien Coupat comme capable de tuer pour ses idées ; et le procès-verbal de filature de Yildune Lévy et Julien Coupat dans la nuit du 7 ou 8 novembre, qui démontrerait leur présence à proximité des lieux du sabotage sur la ligne TGV-Est.

Les mis en examen de Tarnac ont récemment déposé trois plaintes contre X : pour subornation de témoin (au tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand, le 23 février 2011), pour interception de correspondances et atteinte à l'intimité de la vie privée (au TGI de Brive-la-Gaillarde le 25 février), et pour faux et usage de faux en écriture publique (au TGI de Nanterre le 1er mars).





Le 7 novembre, une vingtaine de policiers de la Sdat (sous-direction antiterroriste) et de la DCRI (direction centrale du renseignement intérieur) filent depuis son départ de Paris la Mercedes de Julien Coupat et Yildune Lévy, membres de l'«ultra-gauche, mouvance anarcho-autonome». Le couple, qui se sent suivi, joue pendant plusieurs heures au chat et à la souris avec eux sur des petites routes de Seine-et-Marne aux abords de la ligne TGV-Est.

Après avoir dîné dans une pizzeria puis dormi quelques heures dans leur voiture à Trilport, Julien Coupat et Yildune Lévy seraient, selon les agents du Sdat, revenus à proximité de la ligne TGV, à Dhuisy (à 26 kilomètres de Trilport). En pleine nuit, ils auraient stationné une vingtaine de minutes sur une voie de service, proche de l'endroit où sera découvert au matin un crochet métallique posé sur les caténaires de la ligne LGV. Puis ils repartent à Paris.

Mais la plainte pour faux et usage de faux en écriture publique, déposée par Yildune Lévy et Julien Coupat, pointe de nombreuses failles dans les récits des policiers. Et notamment dans le récit de la filature, connu sous le nom de PV 104 et daté du 8 novembre 2008, qui constitue, selon les conseils des jeunes gens, l'unique élément à charge retenu contre le couple.

Les nouvelles précisions apportées en mars 2010 par deux agents de la Sdat (le lieutenant Mancheron et le capitaine Lambert), à la demande expresse du juge, ne font qu'empirer la chose, puisqu'ils se contredisent eux-mêmes sur plusieurs points cruciaux. «C'est Dupond et Dupont», s'amuse l'un des avocats du groupe, Me Jérémie Assous. Chronologie.


Une silhouette sur les voies ?

3h50. Selon le PV 104, la Mercedes, qui «cheminait à allure normale», parcourt les 26 kilomètres entre Trilport et Dhuisy en dix minutes. Soit une petite moyenne de 160 km/heure. Les policiers de la Sdat prétextent depuis une erreur de «transcription». Ils indiquent avoir confondu le chiffre «3» et le chiffre «5».


Les deux voies de service.
Les deux voies de service.

4h. La Mercedes de Julien Coupat se gare près de la voie ferrée. Les enquêteurs sont incapables de se mettre d'accord sur son emplacement exact, un coup à droite du pont de la voie ferrée, un coup à gauche, voire carrément sous ou sur le pont. Selon le PV 104, le véhicule a été observé à l'arrêt «sur la voie de service au pied du pont de chemin de fer». C'est cette voie secondaire à droite du pont que les gendarmes choisissent d'ailleurs de «geler» pour préserver les éventuelles preuves. Mais d'après la nouvelle version de mars 2010 du capitaine Lambert, la Mercedes aurait en fait été garée sur une autre voie de service, à gauche du pont.

Certains procès-verbaux évoquent la présence d'un individu sur la voie de la ligne ferroviaire entre 4h et 4h20. D'après le lieutenant colonel Gosset, un gendarme chargé des constatations, un officier de la Sdat lui aurait déclaré le 8 novembre au téléphone que la personne suivie «a accédé à l'emprise de la voie ferrée à l'endroit du sabotage sans qu'il puisse déceler ses agissements».

Curieusement, les enquêteurs de la Sdat se montrent plus prudents dans leurs PV et se gardent bien de mentionner une silhouette sur les voies. «Eu égard à la configuration du terrain, les policiers n'ont pas pu observer directement les individus sans risque d'être détectés par eux», relate le PV 104.

Le capitaine Lambert précise même dans son procès-verbal de mars 2010, que «le chauffeur du véhicule 1 (...) s'est avancé à pieds sur la route pour monter en haut d'une butte formée par la chaussée (...). C'est après avoir parcouru plusieurs centaines de mètres que le fonctionnaire a pu distinguer brièvement à l'aide du matériel d'intensification de lumière le véhicule Mercedes qui était stationné sur la voie d'accès à l'emprise SNCF».

Pourquoi après avoir parcouru plusieurs centaines de mètres, se contenter d'observer «brièvement» le véhicule sans se soucier du comportement de ses occupants, pourtant soupçonnés d'avoir des intentions criminelles ? Selon les avocats, la reconstitution du 13 janvier 2011 jette un doute supplémentaire sur l'authenticité des récits des policiers.

«Il a été constaté que si un individu avait été présent près du véhicule Mercedes, lorsque celui-ci était stationné sur la voie d'accès à l'emprise SNCF, il aurait nécessairement été aperçu par le conducteur du véhicule V1 à l'aide de son matériel d'intensification de lumière», expliquent-ils. Surtout s'il a été fait usage d'une lampe frontale, comme le suggèrent les policiers, qui ont par la suite retrouvé un emballage de lampe parmi les objets jetés par Julien Coupat dans une poubelle de Trilport.

4h20. La Mercedes redémarre. Une partie des policiers poursuivent la filature. Que font les autres policiers restés sur place ? Mystère, car «il n'y a aucune précision apportée sur la surveillance de la Sdat entre 4h20 et 5 heures», indiquent les avocats.


Nouveau record à 324km/h

5h. Les policiers restants effectuent, selon le PV 104, «une minutieuse recherche aux abords immédiats de la voie ferrée et du pont de chemin de fer». D'après cette première version, les policiers se positionnent «à l'endroit exact où le véhicule a été observé à l'arrêt». Au contraire, selon la deuxième version de mars 2010, «les véhicules du dispositif restés sur place se sont stationnés (...) du côté opposé au lieu où était stationné le véhicule Mercedes».

Ce «afin de ne pas polluer les lieux où pouvaient avoir été commise une infraction». Mais relèvent les avocats, ces policiers si soucieux de ne pas «polluer les lieux», n'en inspectent même pas les abords et n'effectuent aucun gel des lieux au fin de préservation des traces et indices. Et ils ne semblent pas avoir pris la peine de prévenir la gendarmerie ou la SNCF de l'endroit de stationnement de la Mercedes de Julien Coupat.

«A l'évidence, s'ils avaient été avisés (...), la SNCF n'aurait pas stationné son camion sur la voie de service principale, et la gendarmerie n'aurait pas relevé de traces et d'indices que la Sdat revendique à présent comme siens», remarquent les avocats.

Une équipe de la Sdat se rend donc sur la voie de chemin de fer «en enjambant le grillage» selon le capitaine Lambert. Sacrée enjambée puisque la clôture métallique et les portails mesurent environ deux mètres de haut, selon les constats des gendarmes.

Le capitaine raconte alors que «ne découvrant aucun indice suspect, les fonctionnaires sont revenus sur leurs pas et c'est alors qu'ils venaient de dépasser le pont à 5h10 qu'un TGV arrivant de Paris a été repéré et qu'il a été donné pour ordre (...) aux effectifs de s'écarter de la voie ferrée (...). Ceux-ci ont alors sauté dans le talus situé de part et d'autre de la voie ferrée». Selon le PV 104, certes moins épique, les policiers n'ont pas du tout été surpris par le TGV. Ils sont «par mesure de précaution, restés sur place jusqu'au passage du TGV chargé de l'ouverture de voie».

Le passage du premier TGV provoque, selon le PV 104, «une gerbe d'étincelle au niveau de la caténaire accompagné d'un bruit sec».

La borne relais téléphonique, près de la ligne sabotée.
La borne relais téléphonique, près de la ligne sabotée.


5h25. Selon le capitaine Lambert, «l'ensemble des effectifs ont quitté la zone immédiatement (après l'inspection des voies, ndlr) pour se rendre sur la commune de Trilport». Mais d'après le tableau de trafic téléphonique fourni en juin 2010 par la police, les enquêteurs sont encore à Dhuisy à 5h25, d'où ils passent plusieurs appels à leur hiérarchie.

5h30. Selon le PV 104, les policiers sont de retour à Trilport. Ils fouillent la poubelle où ils ont vu Julien Coupat jeter des objets quelques heures plus tôt. Un nouveau record est pulvérisé. Les enquêteurs auraient donc parcouru un trajet de 26 kilomètres en cinq minutes, à la vitesse de 324 km/heure. Deux fois plus vite que la Mercedes de Julien Coupat et Yildune Lévy à l'aller.

5h50. Les policiers quittent Trilport, après avoir trouvé un emballage de lampe frontale et des plans du réseau TGV dans la poubelle. Derner hic, le tableau de trafic téléphonique signale des appels des enquêteurs depuis Dhuisy jusqu'à six heures du matin, alors qu'ils sont tous censés être partis depuis longtemps.


«Ils n'ont rien vu»

Et pendant ce temps que font les policiers qui suivent la Mercedes ? A 4h45, selon le PV 104, ils constatent que «le véhicule s'arrête au pied du pont de La Marne sur la commune de Trilport, puis après quelques minutes repart en direction de Paris». Plus d'un an après, le 24 mars 2010, des plongeurs repêchent à l'aplomb du pont de La Marne, plusieurs tubes de PVC ayant pu servir à poser le crochet métallique sur les câbles de la voie à grande vitesse.

Selon le Nouvel Obs, les enquêteurs soupçonnent Julien Coupat d'avoir acheté ces tubes de PVC le 7 novembre dans un Bricorama de Châtillon alors qu'ils avaient perdu sa trace entre midi et 14h50. «Il était suivi à bonne distance grâce à une balise GPS placée sur sa vieille Mercedes», explique la source «proche de l'enquête» du Nouvel Obs. A midi le signal disparu comme cela arrive quand la cible entre dans un parking souterrain. Et justement le Bricorama de Châtillon en possède un pour ses clients

Oups ! La pose d'une balise GPS est illégale si elle n'a pas été autorisée par un juge. «Si cette information s'avérait justifiée, elle pourrait démontrer l'absence d'authenticité du PV 104, les services de police ne pouvant raisonnablement déclarer procéder à des constatations visuelles alors qu'ils ne faisaient que suivre une balise», écrivent les avocats.

Conclusion : une vingtaine de policiers chevronnés ont suivi le couple pendant un jour mais «ils ne les ont pas vus à côté de la voie ferrée, ni en train de poser les fers à béton, ni les jeter dans la Marne, ils n'ont rien vu quoi», ironise Me Thierry Levy. Fort opportunément, le 14 novembre, alors que neuf membres du groupe de Tarnac sont en garde à vue depuis trois jours, un témoin sous X apporte de nouveaux éléments.

Entendu par deux officiers de police judiciaire de la Sdat, il décrit les gardés à vue comme «un groupe sectaire dont les membres ont été endoctrinés par Julien Coupat». Ce dernier «souhaite le renversement de l'Etat par le biais d'actions de déstabilisation qui auraient pu aller jusqu'à des actions violentes».


«Une volonté de tromper»


«C'est ce témoignage, les présentant comme un vrai groupe criminel, qui va donner l'apparence de sérieux aux interpellations, car les filatures n'ont pas donné grand-chose», estime un des avocats du groupe, Me Thierry Lévy. Alors que la rumeur sur l'identité de ce témoin crucial se répand dans les médias, la Sdat l'entend à nouveau le 11 décembre 2008 mais cette fois sous son vrai nom, Jean-Hugues Bourgeois, éleveur bio dans le Puy-de-Dôme de son état.

Le discours est inversé, Jean-Hugues Bourgeois déclare tout ignorer du projet politique du groupe de Tarnac. «Le but semblait être de noyer le poisson en me faisant apparaître parmi d'autres témoins», expliquera Jean-Hugues Bourgeois au juge, le 26 novembre 2009.

«A ce moment là, seuls les enquêteurs de la Sdat savent qu'il s'agit de la même personne, qui a témoigné une fois sous X et l'autre fois sous sa vraie identité, mais ils n'en avisent personne, dit Me Louis Marie de Roux, l'un des avocats des mis en examen. Il y a une volonté de tromper tout le monde

Un an plus tard, interviewé par TF1, Jean-Hugues Bourgeois explique que manipulé par la Sdat, il a signé une déposition sous X préparée à l'avance. «Le mec (l'OPJ de la Sdat, ndlr) m'explique très posément que (...) le problème c'est qu'il y a tout un tas d'infos, d'interceptions de mails, d'infos de gars infiltrés en squat, ce genre de choses, qui ne sont pas exploitables dans une procédure judiciaire et que juste ils ont besoin d'une signature», raconte Jean-Hugues Bourgeois.

Interrogé dans la foulée par le juge, l'agriculteur fait état de pressions mais refuse d'être plus précis et de revenir sur les faits. Yildune Lévy et Julien Coupat ont donc déposé une plainte contre X pour subornation de témoin.






mercredi 23 mars 2011

Le monde appartient à ceux qui se soulèvent tôt





Texte d'Eric Hazan paru le 23 mars 2011 sur le Monde.fr.

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Que la sociologie prenne souvent parti pour le maintien de l'ordre, c'est un fait connu, mais il est plus inhabituel de voir un sociologue s'engager carrément du côté de la police. Tel est pourtant le cas de l'auteur d'un article intitulé "Démasquer les méthodes du collectif de Tarnac" publié le 7 mars sur Le Monde.fr.

Comme dans une garde à vue, M. Cibois feint de comprendre l'inverse de ce qu'ont écrit les "mis en examen de Tarnac" dans une tribune publiée dans Le Monde daté 24 février : "Il importe peu de savoir à qui, pour finir, on imputera les actes qui furent le prétexte de notre arrestation." Tenir ces lignes pour un aveu, ou pire, pour la revendication des actes en question : il faut pour cela avoir l'âme d'un policier ou d'un juge d'instruction antiterroriste. Quiconque a un peu suivi l'affaire sait que les sabotages en question ont été revendiqués par un groupe allemand le jour même des faits, que le crochet est comme une signature des antinucléaires allemands, et que cette méthode ne comporte aucun danger pour la vie humaine. La dernière fois que la France a convoyé outre-Rhin des déchets nucléaires, il s'est trouvé quelque 50 000 personnes pour essayer de bloquer le convoi. Traiter de "terroristes" ceux qui s'opposent à l'empoisonnement du monde par le lobby nucléaire relève de la terreur d'Etat.

Si l'on s'en tient aux faits, cette affaire se réduit à la tentative désespérée d'attribuer à deux personnes un sabotage, celui de Dhuisy, en Seine-et-Marne. Ce sabotage n'a d'ailleurs arrêté aucun train. Il a endommagé huit petits bouts de plastique qui ont été changés en un tourne-main par la SNCF – ce qui a peut-être coûté deux ou trois mille euros, à mettre en balance avec les deux ou trois millions d'euros de frais engagés pour l'instruction de l'affaire. Cette disproportion entre les faits et la procédure est bien la preuve – l'une des preuves – du caractère politique de cette instruction.

Un sociologue n'est pas tenu d'être historien, c'est vrai, mais il y a des limites à l'ignorance. M. Cibois propose de déployer contre les gens de Tarnac les méthodes utilisées par l'Etat italien contre les Brigades rouges dans les années 1970. Il reprend même à son compte la métaphore répandue à l'époque : "Assécher la mer pour prendre le poisson." Cette riche idée, dont la "démocratie" italienne ne s'est jamais relevée, a signifié : lois d'exception, torture, tirs à balles réelles sur des manifestants, rafles massives, assassinats ciblés. Francesco Cossiga, ministre de l'intérieur de l'époque, a reconnu plus tard avoir mené une guerre. M. Cibois, partisan de "l'action collective non violente", propose donc de mener "dans une démocratie comme la France" une guerre du même genre. On reconnaît là une pensée que M. Cibois partage avec son collègue Alain Bauer, comme lui prêt à tout pour défendre "la société". Il est vrai que pour un sociologue, la société est en quelque sorte un gagne-pain.

"Il n'est pas possible, écrit M. Cibois, d'identifier la France avec la Tunisie de Ben Ali sous prétexte de persécutions policières." En effet, l'empilement des lois sécuritaires depuis dix ans – avec, dernière en date, une Loppsi 2 digne de la présente démocratie chinoise – n'est pas le seul symptôme de la "Benalisation" du régime en France. Il faut y ajouter le placement de proches du président, voire de sa famille, à des postes-clefs de l'économie et des médias, le caractère tristement fantoche de l'opposition officielle, l'extension de la misère dans un corps social dont les "élites" se disputent les derniers morceaux de choix. Sans compter le chiffre annuel record des gardes à vue, les yeux crevés au flashball, les morts du taser, les étouffés dans les fourgons de police, les chauffards abattus aux barrages "en légitime défense". En attendant que M. Cibois et consorts aient fini de soupeser la légitimité de l'insurrection, soutenons, appuyons tous ceux qui sont entrés en lutte ouverte avec ce régime. Le monde appartient à ceux qui se soulèvent tôt.

Eric Hazan, éditeur



jeudi 10 mars 2011

Tarnac : l’épicerie était sur écoute sauvage




Article de Karl Laske paru dans Libération du 10 Mars 2011.

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Justice . Une plainte a été déposée par les militants.

C’est une opération secrète, et peut-être l’une des clés de l’affaire de Tarnac. Il y a un an, l’un des gérants de l’épicerie du village corrézien a révélé avoir découvert l’existence d’un dispositif d’écoutes visant leurs lignes téléphoniques, huit mois avant leur mise en cause dans les sabotages des lignes TGV. En mars 2008, des barbouzes, ou des policiers, s’étaient mis au travail sans qu’on sache encore pourquoi et sur ordre de qui.

L’écoute sauvage, confirmée par des agents de France Télécom, n’est jamais apparue au dossier d’instruction. Au nom de Benjamin Rosoux, cogérant de l’épicerie de Tarnac, Me William Bourdon vient de déposer plainte auprès du procureur de Brive-la-Gaillarde pour «interception de correspondances» et «atteinte à l’intimité de la vie privée». «Il y a un fil rouge dans ce dossier, c’est celui de la manipulation, commente Me Bourdon, et cette enquête démontrera l’existence d’écoutes clandestines, antérieures à la procédure, en violation de la loi.» Alors que les juges antiterroristes se sont désintéressés de ces faits, l’avocat a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) pour obtenir de France Télécom un historique du suivi technique des lignes de l’épicerie. L’opérateur avait répondu que «les données 2008» n’étaient «plus consultables». Mais la Cada a jugé que, si France Télécom devait répondre de la fourniture de l’accès téléphonique, il n’en était pas de même pour son intervention technique, qui n’est plus de son ressort exclusif.

L’opérateur a opté pour le silence. Et pour cause : il a engagé une procédure disciplinaire contre Gilles C., l’agent qui a découvert et débranché le système d’écoute devant l’un des gérants de l’épicerie, le 4 avril 2008. Le terminal de carte bancaire des militants épiciers ne fonctionnait plus normalement. «L’écoute provoquait un affaiblissement des signaux, a expliqué à Libération un délégué du personnel de France Télécom. L’agent a coupé la dérivation et rétabli la ligne. Puis il a appelé le chef de département qui lui-même a averti le service national qui s’occupe des écoutes.» Très vite, le technicien fait l’objet d’une mise à pied et de quinze jours de suspension, pour avoir laissé entrer un particulier avec lui dans le central téléphonique.

Il est donc «avéré que les interceptions des lignes téléphoniques ont eu lieu», concluent les plaignants, qui jugent «extrêmement probable» que les commanditaires des écoutes «soient les forces de l’ordre en charge de l’enquête de Tarnac». Or, signalent-ils, «l’enquête préliminaire dans l’affaire n’ayant été ouverte que le 16 avril 2008, à la date des interceptions, aucun fondement juridique ne pouvait justifier une quelconque écoute».





vendredi 4 mars 2011

Ivan a été libéré !






Lu sur sur Indymedia Paris et Indymedia Nantes le 4 mars 2011.


[pour mémoire : sur son arrestation et incarcération]
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Ivan a été libéré jeudi 3 mars après trois semaines de détention. Il a été placé sous contrôle judiciaire (interdiction de quitter le territoire national, d’entrer en contact avec les autres mis en examen, obligation de pointer une fois par mois au commissariat et de se rendre aux convocations de l’AAPé, un organisme de contrôle social rendant compte aux juges de l’activité du gibier de potence). Il avait été arrêté le 7 février à Paris.

En mars 2009, il s’était soustrait aux convocations de la justice pour échapper à un mandat de dépôt émis pour violation du contrôle judiciaire.
Il avait été arrêté une première fois en janvier 2008 alors qu’il était en possession d’un fumigène artisanal et de clous tordus et qu’il se rendait à une manifestation devant le centre de rétention de Vincennes. Il avait alors fait 4 mois et demi de détention préventive.

Pour plus d’info sur cette affaire :

Dossier Mauvaises Intentions


Liberté pour tous ! La solidarité est une arme !




jeudi 3 mars 2011

De Tarnac à Tunis, tombeau pour une ministre







Tribune de Gérard Coupat publiée dans Libération du 2 Mars 2011.


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Chère Michèle-Yvette-Marie-Thérèse Alliot-Marie
Ce qui vous arrive est injuste. Rien n’est pire que de tomber pour une faute qu’on ne peut reconnaître. Car qu’avez-vous fait d’autre, dans cette excursion tunisienne, que ce que font depuis toujours tous vos petits camarades ? Et si l’on vous fait expier l’infamie cette fois trop visible de la politique étrangère de la France, que va-t-on faire de vos infamies passées, tellement plus notables ?
Je suis né la même année que vous, en Algérie, d’un père militaire puis ouvrier. J’en tiens une idée assez précise, je crois, de ce que fut le gaullisme après 1945. De là, j’ai été rapatrié dans le Sud-Ouest. On ne pouvait ignorer alors, dans le Sud-Ouest, ce qu’était le clan Marie. Puis, comme tant d’autres dans ma génération, une fois éteint le souffle émancipateur de 68, j’ai fait ma carrière sans plus me soucier de politique, laissant cela, bêtement, à des gens comme vous. Je dis «bêtement», car avec l’affaire de Tarnac, j’ai fini par admettre que si vous ne vous occupez pas de politique, la politique, elle, s’occupe de vous. Enfin, la seule sociologie ne suffit pas à expliquer mon ultime malchance : habiter à Rueil-Malmaison, baronnie dont votre compagnon Ollier a hérité des mains de Jacques Baumel, «gaulliste historique». Cela dit pour situer «d’où je parle», comme on disait en 68.
On vous reproche aujourd’hui votre compromission avec un dictateur tunisien. Quelle mauvaise foi ! Quel dictateur africain ou maghrébin ne s’est pas vu, un jour ou l’autre, offrir les services de la France ? Qui peut prétendre ignorer la collusion historique entre l’Etat français et à peu près toutes les autocraties véreuses issues de l’empire colonial ? Croit-on qu’un Claude Guéant ait des fréquentations plus honorables que vous ? Et qui peut ignorer que, depuis cinquante ans, l’argent des ventes d’armes ou celui de Dassault sert de diverses manières à financer les réseaux gaullistes ? L’existence de monsieur Foccart n’est tout de même pas une découverte récente. Et si Charles Pasqua fait aujourd’hui sourire, pourquoi devriez-vous faire horreur, sinon en vertu d’une obscure misogynie ?
Si l’on vous sacrifie, c’est en un sens pour sauver le grand aveuglement français d’après-guerre : l’aveuglement quant à la nature du gaullisme. Le gaullisme fut une curieuse synthèse de Maurras et de Machiavel, et rien d’autre. Qui furent les «gaullistes historiques» ? Des gens qui ont appliqué en temps de «paix» les techniques clandestines, les illégalismes qu’ils avaient appris dans la Résistance. Des anciens de la Cagoule. Des activistes orphelins de l’action. Des pétainistes déçus de Vichy mais toujours friands de grands hommes. Des passionnés de la conspiration. En 1959, quand les frères Bromberger écrivent les 13 complots du 13 mai, ils trouvent finalement héroïque que De Gaulle ait pris le pouvoir et fondé la Ve République à la faveur d’un authentique coup d’Etat. Le Coup d’Etat du 13 mai, c’est le titre d’un livre amer du colonel Trinquier.
Dans les années 1940, Jacques Baumel s’occupait de financer le Rassemblement du peuple français (RPF). Le service d’ordre du RPF, principalement composé de truands militarisés, est l’ancêtre du Service action civique (SAC). Les tueurs du SAC furent toujours aux côtés de votre bon-papa, quand il faisait campagne à Biarritz pour les législatives ou les municipales. Votre compagnon Ollier a succédé à Baumel à la mairie de Rueil-Malmaison. Quant à vous, vous honorez les héritiers du SAC, devenu le Mouvement initiative liberté (MIL), de votre participation à leurs conventions. La boucle est bouclée. En février 2009, vous y faisiez un discours intitulé «Français toujours et fier de l’être».
Quand je le lis, j’ai l’impression d’entendre Raymond Marcellin. Comme celui-ci demandait au SAC, après 68, de l’aider à casser du gauchiste, vous demandez au MIL de «créer de la part de l’opinion publique un rejet de ces groupes» afin d’«isoler et lutter contre ceux qui attaqueraient l’Etat» puisque «nous sommes à l’heure où l’ultra-gauche voudrait remettre en cause l’autorité et le pouvoir de l’Etat». Dans la droite ligne hallucinée de Raymond Marcellin, qui soutenait les groupuscules d’extrême droite pour y recruter des hommes de main, vous avez pris comme porte-parole du ministère de l’Intérieur un ancien d’Occident, Gérard Gachet, dont on a fait opportunément détruire la fiche RG. Ils sont loin d’être rares les anciens de ces groupuscules dans l’actuelle majorité. De la même façon, avoir affaire depuis trois ans à l’antiterrorisme m’a projeté un demi-siècle en arrière, en Algérie, où l’antiterrorisme désignait la Main rouge, ces barbouzes qui faisaient sauter des bombes à la casbah pour provoquer les «musulmans».
Je tenais à vous dire que je trouve particulièrement injuste que l’on vous fasse à présent grief de mentir, car de mentir, depuis que je vous écoute, vous n’avez jamais cessé de le faire. Vous êtes allée jusqu’à déclarer à la radio, l’affaire s’étant retournée, que vous n’aviez jamais traité les gens de Tarnac de «terroristes», que c’était une invention des journalistes. Il est vrai que vous n’étiez que ministre de l’Intérieur quand vous les avez fait arrêter par la police antiterroriste.
A l’Assemblée, vous avez répondu à un député en des termes vifs, regrettant «l’abjection d’essayer d’utiliser mes parents pour vous en prendre à moi et pour m’attaquer politiquement». Je partage votre émotion, moi qui ai été utilisé de toutes les façons possibles pour s’en prendre à mon fils et l’attaquer politiquement. Pour ce qui est de trouver indécent de voir «passer sa vie, tant publique que privée, au peigne fin» comme vous vous en êtes plainte récemment, nous qui sommes sur écoute depuis trois ans et qui avons pu tâter des micros directionnels de la DCRI comme de leurs techniques de filature, nous en convenons : c’est très désagréable. Il serait d’ailleurs heureux que cela cesse. L’argent public a certainement de meilleurs usages.
Pour tout vous dire, à voir tous ces vieux dictateurs tomber, et à vous voir les suivre dans leur chute, j’en viens à souhaiter que vous ne soyez pas la seule à disparaître. Nous sommes lassés de voir depuis quarante ans les mêmes visages et les mêmes noms jouer au jeu des chaises musicales à la tête de l’Etat tandis que la souffrance sociale croit d’année en année. En attaquant les gens de Tarnac, vous m’avez rendu désirable l’insurrection qui vient, vous m’avez offert une vraie conscience politique. Soyez-en remerciée. A présent, je sais la différence entre des hommes, ou une femme, de pouvoir et ce que Hannah Arendt appelait une «vie politique».





mardi 1 mars 2011

Les sept ratés de l'affaire de Tarnac







Article paru dans l'édition papier des Inrockuptibles du 20 février 2011,
complétant la première version web reprise ici
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Rebondissement dans l’affaire de Tarnac : Julien Coupat et Yldune Lévy vont porter plainte contre la police pour faux et usages de faux en écriture publique, subornation de témoin et interceptions illégales.

Un nouveau round commence dans le combat qui oppose le “groupe de Tarnac”, mis en examen pour des actes terroristes, aux policiers et juges chargés de l’enquête. Après avoir demandé la requalification des faits en simples sabotages - refusé en mai 2009 - l’annulation de pièces de la procédure - refusé en octobre 2010 - et la réalisation de plusieurs actes d’enquête qui pourraient les disculper - refusé ou ajourné - les mis en examen passent à l’étape supérieure.

Selon les informations recueillies par Les Inrocks, ils vont déposer trois plaintes (contre X mais visant clairement les policiers de la sous-direction antiterroriste, Sdat) pour interceptions illégales, subornation de témoin et surtout faux et usages de faux en écriture publique.

Julien Coupat et Yildune Lévy espèrent ainsi démontrer devant la justice que le procès-verbal de leur filature, dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008, et les versions policières successives tendant à le contredire plutôt qu’à le confirmer, constituent une manoeuvre de la Sdat pour affirmer leur culpabilité sans preuve.

Cette nuit-là, une vingtaine d'agents de la Sdat et de la DCRI suivent une Mercedes occupée par deux "membres de la mouvance anarcho-autonome", en Seine-et-Marne. Ils voient le couple s'arrêter dans une pizzeria, dormir dans la voiture à Trilport puis reprendre la route avant de stationner près d'une voie ferrée sur la commune de Dhuisy. Puis, leur véhicule retourne à Paris. Au petit matin, près du lieu où s'était garée la Mercedes, le passage du premier TGV provoque une gerbe d'étincelles qui attire l'attention des policiers. Les suspects sous surveillance ont-ils commis un acte de sabotage ?

Sur la foi du procès-verbal de filature, désormais connu sous le nom de "PV 104", Julien Coupat et Yldune Lévy sont arrêtés, mis en examen et écroués pour direction d'une association de malfaiteurs à vocation terroriste. Il n'y a eu ni morts ni blessés, aucun train n'a déraillé. Ni photos sur les lieux, ni traces ADN, ni aveux ne viennent prouver leur culpabilité. Deux ans et demi après l'ouverture de l'enquête, dix personnes sont mises en examen.

Le récit de cette nuit varie selon les policiers interrogés et les contradictions apportées par la défense. Le déroulement de ces quelques heures reste si flou que le juge d'instruction a exigé des policiers, un an après les faits, qu'ils s'expliquent sur le compte-rendu. Ils ont rendu leur rapport en juin. "Les nouvelles pièces d'exécution, qui devaient 'préciser' certains points incohérents de l'enquête de police, n'ont ajouté que de nouvelles invraisemblances", estiment les avocats des mis en examen.

Montage policier ou travail de cochon ? En tout cas, le résultat décrédibilise largement le professionnalisme de la police antiterroriste. Les impossibilités temporelles, incohérences et questions sans réponses ont donc décidé Julien Coupat et Yldune Lévy à porter plainte pour faux et usages de faux en écriture publique. Ce crime, s'il est commis par des personnes dépositaires de l'autorité publique, peut être puni de quinze ans de prison et 225 000 euros d'amende. Ils portent aussi plainte pour subornation de témoin : une connaissance de Coupat avait anonymement témoigné contre eux avant de se rétracter, parlant de pressions policières. Une plainte pour des écoutes illégales de l'épicerie de Tarnac, effectuées avant le début de l'enquête préliminaire et découvertes par hasard par un agent de France Télécom, complète le tableau.

1. Une nouvelle preuve opportune

Quelques jours avant le dépôt des plaintes dont nous avons eu connaissance, Le Nouvel Obs se fait l’écho d’une nouvelle piste, opportunément communiquée par les enquêteurs. En février 2010, la brigade fluviale fouille la Marne, à 20 kilomètres des voies TGV. Elle y trouve deux tubes en PVC longs de deux mètres qui, emboîtés l’un dans l’autre par un manchon recouvert d’adhésif, aurait servi de perche pour hisser le crochet sur la caténaire.

Pas d’ADN, des “éléments matériels” bien tardifs, peu importe : selon la police, le couple se serait débarrassé de ces tubes dans la rivière lors d’un arrêt sur la route du retour. Plusieurs questions demeurent : pourquoi fouiller la Marne plus d’un an et demi après les faits ? Comment attribuer à Julien Coupat, qu’aucun policier n’a vu sortir les perches et les jeter à l’eau, l’achat en espèces de ces objets, lors d’un instant où il aurait échappé à la surveillance ? Pourquoi la police ne mentionne-t-elle que maintenant l’existence d’une balise GPS sur la Mercedes, dispositif illégal s’il n’est pas autorisé par un juge ?

2. Un témoin sous pression ?

Alors que les saboteurs présumés sont en garde à vue, en novembre 2008, la Sdat procède à l’audition d’un témoin sous X, dont la presse révèle plus tard l’identité : Jean-Hugues Bourgeois, un éleveur bio du Puy-de-Dôme. Dans sa déposition, il décrit le groupe de Tarnac comme “un groupe à caractère sectaire dont les membres ont été endoctrinés par Julien Coupat. […] Ce dernier souhaite le renversement de l’Etat par le biais d’actions de déstabilisation qui auraient pu aller jusqu’à des actions violentes”.

Un mois plus tard, entendu sous sa véritable identité, il se rétracte. Dans un entretien accordé à TF1 en novembre 2009, Bourgeois explique que sa déposition sous X a été sollicitée par la Sdat, et qu’il a signé une déclaration préparée à l’avance. Ces éléments motivent la plainte de Julien Coupat et Yldune Lévy pour subornation de témoin, délit passible de trois ans de prison et 45 000 euros d’amende.

3. Une reconstitution bâclée

Les avocats du groupe de Tarnac, qui pointent depuis le début de l’enquête les “invraisemblances” et les “contradictions” du PV 104 (signé par le lieutenant Mancheron) puis des compléments d’information (signés par le lieutenant Mancheron et le capitaine Lambert), demandaient à cor et à cri une reconstitution : rejouer cette nuit, en présence des juges d’instruction Thierry Fragnoli, Edmond Brunaud et Yves Jannier, des policiers présents à cette date, vérifier le timing, les positions de chaque véhicule, les trajets.

Si les effectifs de police comptaient six fonctionnaires de la Sdat “assistés d’un groupe de surveillance de la DCRI, soit une vingtaine de fonctionnaires au total, (…) munis d’une douzaine de véhicules automobiles, de motos banalisées et de véhicules d’observation”, placés “aux points de passage obligés”, on n’en sait pas plus. Malgré la demande du juge de préciser l’organisation de la filature, la Sdat invoque des “techniques de surveillance policière qui doivent rester confidentielles”.

La reconstitution a eu lieu dans la nuit du 13 au 14 janvier 2011. Convoqués à Dhuisy à 2 heures du matin, les avocats s’aperçoivent que les juges sont à Trilport, à 30 kilomètres de là. Il faut les rejoindre. A leur arrivée, les juges décident de se déplacer à Dhuisy. Il est 3 heures 30, une heure et demie d’allers-retours et de temps perdu. Il ne reste plus qu’une demi-heure à passer sur les rails avant que la SNCF ne doive les réinvestir.

Tout le monde est tendu. Les juges refusent de noter les observations des avocats au procès-verbal, puis cèdent à force d’engueulades. Les policiers sur place ne sont pas les mêmes que ceux de 2008. Ceux-là ont participé à une mise en situation à huis clos, dix jours avant, avec les juges mais sans les avocats. “Une répétition générale destinée à vérifier quelles opérations pouvaient s’avérer gênantes pour l’accusation” selon la défense, qui dénonce dans une lettre aux juges d’instruction leur “inacceptable partialité” et “l’absence d’instruction à décharge de ce dossier”. Ils demandent une nouvelle reconstitution.

4. Un piéton sur les voies SNCF ?

Alors que certains procès-verbaux parlent d’un véhicule stationné près des voies, d’autres évoquent un piéton aperçu sur les voies. Le lieutenant-colonel Gosset, un gendarme chargé de l’enquête sur les dégradations, dit s’être entretenu avec un agent de la Sdat. Celui-ci lui aurait affirmé “avoir suivi et observé un individu qui s’est stationné à l’intersection entre la D23 et la LGV Est pendant une vingtaine de minutes entre 4 heures et 4 heures 20. Cette personne a accédé à l’emprise sécurisée de la SNCF sans qu’il puisse déceler ses agissements”.

Dans le PV 104, pas d’allusion à un piéton. Les dangers du téléphone arabe, explique la Sdat, qui désavoue le gendarme : à force d’informations répétées et déformées, le véhicule stationné serait devenu un piéton dans sa bouche. La Sdat ne développe pas d’analyse sur la seconde partie de la phrase, selon laquelle le piéton-véhicule a pénétré sur les voies de chemin de fer. Ni n’explique comment Julien Coupat ou Yldune Lévy, surveillés par vingt policiers spécialisés, auraient pu, sans être vus, sortir de leur voiture, franchir une barrière de deux mètres de haut et, une fois sur les voies avec leur lampe frontale, hisser un fer à béton à l’aide d’une perche de cinq mètres jusque sur la caténaire.

5. L’emplacement de la voiture de Coupat

Où était garée la Mercedes de Julien Coupat de 4 heures à 4 heures 20 ? Depuis le début de l’enquête, les policiers la situent à un emplacement bien précis : une voie de service de la SNCF, juste au pied d’un pont ferroviaire.

Or, dans les éléments d’information complémentaires transmis au juge en mai dernier, la Sdat situe la voiture sur une autre voie de service, à une centaine de mètres du pont. Pour les avocats, “le nouveau positionnement du véhicule est en totale contradiction avec ce qui a été écrit et soutenu par l’ensemble des acteurs de la procédure”. D’autres actes d’enquête placent la Mercedes “sous le pont” et même “sur le pont”. Yldune Lévy et Julien Coupat, eux, ont toujours nié s’être garés près des voies.

6. Une recherche d’indices hasardeuse

Une fois la Mercedes partie, micmac sur le comportement des policiers. Selon le premier PV, ils se garent à sa place. D’après la nouvelle version, ils se placent du côté opposé, pour “ne pas polluer les lieux où pouvait avoir été commise une infraction”. Pourtant, le capitaine Lambert écrit : “Aucun gel des lieux aux fins de préservation des traces et indices n’a été effectué.”

Où sont garés les policiers à cet instant ? Avec combien de véhicules ? Un seul selon la gendarmerie, deux selon le capitaine Lambert. Pourquoi ne fouillent-ils pas la voie d’accès pour trouver d’éventuelles traces du passage de Coupat ? Une équipe de la Sdat se rend ensuite sur les voies, à la recherche d’éventuels indices “en enjambant le grillage”. Deux mètres de haut à enjamber, sans doute avec l’aide de bottes de sept lieues…

7. Police et don d’ubiquité

Lorsque Julien Coupat quitte l’abord des voies SNCF, une partie des policiers le suit. Les fonctionnaires restés à Dhuisy constatent “une gerbe d’étincelles accompagnée d’un grand bruit sec” à 5 heures 10, au passage du premier TGV. Selon le PV 104 et leurs explications ultérieures, ils en rendent immédiatement compte à leur hiérarchie. A 5 heures 25, tous les policiers quittent les lieux en direction de Trilport, afin de fouiller une poubelle dans laquelle ils ont vu Julien Coupat jeter des objets la veille. Ils arriveraient sur place en cinq minutes, c’est-à-dire qu’ils auraient parcouru le trajet à 324 km/h en moyenne… Dans la poubelle, les policiers supersoniques trouvent des horaires SNCF et un emballage de lampe frontale.

Un relevé de bornage téléphonique fourni par les policiers soulève pourtant le doute. Alors qu’ils sont tous censés avoir quitté Dhuisy, le relevé montre que des policiers ont passé des appels depuis cette commune jusqu’à 6 heures du matin.

Camille Polloni