paru sur ARTICLE XI le mercredi 13 mai 2009, par JBB
Non. Simplement : dire non. Face aux pressions policières et judiciaires : répéter non. Refuser de répondre et de se prêter au rituel déjà écrit de l’interrogatoire politique. Que ce soit dans l’Amérique anti-communiste de McCarthy ou dans la France d’Alliot-Marie - vent debout contre le prétendu danger "anarcho- autonome" - se dessine ainsi un même front du refus.
Il y a cette scène magnifique dans le troisième épisode des aventures de Rambo. Un grand méchant essaye de faire parler le colonel Trautman, fier copain de Stallone, et recours aux pires procédés pour lui faire avouer ce qu’il est censé cacher. Et lui :
Bien sûr, tout le monde n’a pas la classe de Rambo et de ses amis, ce mélange de virilité écrasante et d’intellectualisme flamboyant. Tout le monde - non plus - n’a pas à sa disposition un scénariste de génie, à même de concocter les répliques les plus percutantes et efficaces que le cinéma ait produit depuis les frères Lumières. N’empêche : ailleurs qu’au cinéma ou dans les romans, il existe des hommes justes et droits - à défaut d’être durs - qui ne plient pas devant la question, ne lâchent rien et se tiennent à la plus classe des lignes de défense, celle du refus. Ne pas répondre, simplement. Dire non.
N’en déplaise à Rambo, il n’est pas question ici de la résistance à la torture. Ni d’invoquer ceux qui ont su résister à la douleur physique et à une quelconque inquisition, de convoquer les mânes de Jean Moulin ou de fustiger Régis Debray [1]. Mais seulement de mettre en parallèle deux refus de céder devant les rouages policiers et la machine judiciaire, époques différentes mais semblables comportement des mis en cause, lesquels se contentent de dire haut et fort que la question - la même, éternellement posée - n’obtiendra pas la réponse attendue par les juges et les flics. Il ne s’agit pas d’être rebelle, de crier ou de s’insurger ; mais d’énoncer doucement et distinctement : répondre, je préférerais ne pas ; rentrer dans votre jeu, je préférerais ne pas ; vous donner la moindre information en m’exprimant sous la contrainte, je préférerais ne pas. « I would prefer not to », pour s’en tenir à la ligne de conduite énoncée par Bartleby [2].
Hammett : répéter son refus, encore et encore
Dashiell Hammett n’a pas seulement été un grand écrivain, auteur - entre autres - du Faucon maltais ou de La Moisson rouge et l’un des pères du roman noir. Il a surtout été un bonhomme qui en avait. Littéralement.
Rappel : très engagé à gauche, compagnon de route du Parti communiste américain, soutien affiché de la lutte pour les droits civiques ou du combat des Républicains espagnols, président du Civil Rights Congress de New-York (organisation communiste), Dashiell Hammett paye au prix fort ses opinions politiques quand vient le maccarthysme, après la Deuxième Guerre mondiale. Mis à l’index - ses livres sont retirés des bibliothèques publiques - , en butte à l’hystérie d’une population et d’autorités rendues complètement folles par la chasse aux sorcières [3], Dashiell Hammett est convoqué deux fois devant les tribunaux, en 1951 et en 1953. Et condamné à six mois de prison.
Où je veux en venir ? Juste : Hammett ne se dégonfle pas. Quand certains se déballonnent dans les grandes largeurs - ainsi d’un Elia Kazan dénonçant quinze de ses camarades communistes et les reniant devant la Commission des activités anti-américaines d’une formule infecte : ce sont « des gens pour lesquels, individuellement ou en tant que groupe, je n’éprouvais que du mépris, et dont l’attitude et le comportement m’inspiraient une horreur véritable. » - lui tient dignement son rang, ne se laissant pas impressionner par les procureurs haineux et les juges aux ordres. Jusqu’à prendre la perspective des poursuites presqu’à la rigolade, ainsi que l’a raconté un Howard Fast qui a lui-aussi goûté aux geôles américaines peu après avoir croisé l’auteur du Faucon Maltais :
En 1950, c’était quelques jours avant que je n’aille purger ma peine de prison, je me promenais sur Madison avenue, et voilà que je rencontre DH (Dashiel Hammett) et Lillian Hellman. Et elle me dit : « On voit que vous avez l’air complètement accablé, qu’est-ce qui vous arrive ? » Je réponds : « Il y a de quoi être triste, dans quelques jours, je rentre en prison. » Et c’est là que DH me dit : « Ha ! Mais, attendez ! Ça, c’est une expérience sensationnelle ! Vous allez entrer en prison… Je pense qu’aucun écrivain ne devrait manquer, dans sa carrière, cette expérience de passer quelques temps derrière les barreaux ». Et il avait raison.
Prendre l’emprisonnement d’un autre à la légère peut sembler facile. Bien se comporter quand on y est soi-même confronté est beaucoup plus remarquable. A son tour menacé, soumis à la pression des juges et du sénateur McCarthy en personne [4], confronté à la prison, Hammett ne lâche rien. Nada. Des nèfles. C’est justement ce qui ressort du bien nommé Interrogatoires, livre à paraître aux éditions Allia [5] et qui compile le compte-rendu de trois comparutions en justice de l’écrivain. Face à la petitesse des juges, soucieux de prouver ses sympathies communistes et empressés de lui faire confirmer l’implication de certains de ses amis, Dashiel Hammett se contente presque uniquement d’une réponse, dont la forme varie de quelques mots à l’occasion :
« J’invoque mes droits garantis par le Cinquième amendement de la Constitution américaine, et je refuse de répondre car la réponse peut me porter préjudice. »
Est-il l’un des administrateurs du Civil Rights Congress de New York ? « Je refuse de répondre », dit Dashiel. Le juge lui ordonne t-il, très solennellement, de répondre à la question ? Basta, il « refuse de répondre ». Reconnaît-il les initiales - en forme de paraphe - de ses camarades de lutte sur des documents de cette association ? « Je refuse de répondre à cela », persiste Dashiel, digne et moqueur, « mais j’aimerais, avant de refuser de répondre, poser cette question : est-ce que je les reconnais comme des initiales ? Je dirais que oui. » Et ainsi de suite au long des 90 pages de ces Interrogatoires.
Cette constance admirable dans le refus vaut à Hammett sa condamnation à la prison pour "outrage à magistrat". Qu’importe : une fois son temps derrière les barreaux effectué, à nouveau interrogé, il ré-adopte la même ligne de conduite. Quoi que cela puisse lui en coûter. La classe, tout simplement.
Cette constance admirable dans le refus vaut à Hammett sa condamnation à la prison pour "outrage à magistrat". Qu’importe : une fois son temps derrière les barreaux effectué, à nouveau interrogé, il ré-adopte la même ligne de conduite. Quoi que cela puisse lui en coûter. La classe, tout simplement.
Coupat : répéter son refus, encore et encore
Il y a loin de Dashiel Hammett à Julien Coupat ?
En fait : non.
Ils ont même beaucoup en commun. En clair :
• Ils doivent tous deux répondre - devant une justice instrumentalisée - de leurs idées et non de leurs actes : le premier condamné pour son communisme, le second embastillé pour ses professions de foi dites "anarcho-autonomes".
• Ils partagent aussi une même circonstance aggravante, celle d’être des auteurs engagés ; au premier, on reproche des livres si insidieusement marqués de préoccupations sociales qu’il sera jugé nécessaire de les retirer des bibliothèques [6], au second, on fait pour seul et unique grief - en vérité - d’être l’auteur présumé de l’Insurrection qui vient.
• Enfin - et c’est là le point le plus marquant - face à une justice qui renie les principes censés la gouverner, poursuivant et embastillant au mépris des règles de l’État de droit, Hammett et Coupat adoptent une même réaction : le refus. Et ce sont les mêmes mots qu’ils utilisent pour dire qu’ils ne se prêteront pas au jeu biaisé que leur imposent les autorités. « Je refuse de répondre », s’entête Dashiel. « Je refuse de répondre », lui fait écho Julien.
Se taire. Ne pas répondre. Ne pas être « beau joueur », comme dit l’adage. C’est un droit, prévu dans le code pénal. Mais rarement revendiqué, écrit le journaliste David Dufresne, auteur d’un excellent article [7] pour Médiapart sur l’inexistence des charges pesant contre Julien Coupat et sur la façon dont le leader prétendu des "Neuf de Tarnac" résiste à la machine judiciaire. Ou pas longtemps. C’est pourtant ce qu’a fait Julien Coupat en garde à vue, dans les sous-sols de la Sous-direction de l’antiterrorisme (Sdat), entre le 11 et le 14 novembre 2008. Il venait de se faire interpeller à Tarnac. Perquisitions, direction Paris à 160 km/h sur l’autoroute, précipitation. Rapidement, Julien Coupat va comprendre de quoi on l’accuse : chef d’une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Et voilà le grand jeu du grand mutique qui commence. Sur les procès-verbaux de ses douze auditions en quatre jours, auxquels Mediapart a eu accès, on lit « je refuse de répondre ». Une fois, dix fois, cinquante fois. Sur lui, sur son militantisme, sur ses revues, ses amis, ses filatures, ses contre-filatures, son passage clandestin à la frontière américano-canadienne (janvier 2008, qui lui vaudra les soupçons du FBI), sa présence aux abords de la ligne de chemin de fer à Dhuisy (Seine-et-Marne) dans la nuit du 7 au 8 novembre, ses amitiés présumées avec des activistes anti-nucléaires allemands. « Je refuse de répondre », toujours.
Ce refus de se prêter au jeu, de plier, de se soumettre, Julien Coupat le paie au prix fort. Toujours embastillé, il vient de se voir refuser une énième demande de remise en liberté. Et a déjà passé six mois en prison, soit la peine effectuée par Dashiel Hammett. Le parallèle s’arrête là : tandis que l’auteur du Faucon Maltais a été condamné à une durée d’emprisonnement précise, Coupat flotte dans une complète incertitude, comme si sa détention préventive ne devait jamais prendre fin. On se gardera - bien évidemment - d’en tirer une quelconque conclusion sur ce que cela dit du naufrage pathétique de notre justice aux ordres…
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Notes
[1] A t-il, oui ou non, été celui qui, par des aveux trop rapides, a précipité la mort de Che Guevara ? Question pas encore tranchée…
[2] Et que Lémi a très joliment résumé en ce billet.
[3] A ce sujet, lire l’excellent Mémoires d’un rouge d’Howard Fast. Ou sinon, se reporter à ce billet de Lémi (oui, je sais : encore lui…).
[4] Qui mènera l’un des interrogatoires de Dashiel Hammett, le 26 mars 1953.
[5] A paraître le 20 mai, 3 €.
Livre très recommandable, mais réservé à ceux qui s’intéressent particulièrement à Hammett ou au maccarthysme : le déroulé des interrogatoires peut en effet sembler un brin répétitif.
[6] Avant que le président Eisenhower en personne n’intervienne pour rétablir un semblant de raison, déclarant que les livres d’Hammett ne lui semblaient pas constituer une menace subversive et méritaient de réintégrer les rayonnages publics.
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