Je n'ose y croire, tant j'en ai rêvé, mais là, la cour européenne des droits de l'homme semble sonner le glas d'un aspect parmi les plus scandaleux de la procédure pénale française, qui pourtant n'en manque pas.

Par un arrêt Salduz c. Turquie du 27 novembre 2008 (Requête no 36391/02), la Grande Chambre de la Cour a condamné la Turquie pour violation du droit à un procès équitable pour une loi qui refusait l'accès à un avocat au stade de l'enquête de police en raison de son objet qui, vous l'aurez deviné puisqu'il permet de porter atteitne aux droits de l'homme sous les applaudissements de l'opinion publique, est de lutter contre le terrorisme.

En l'espèce, c'est un mineur kurde, soupçonné d'avoir ourdi deux odieux attentats terroristes, en l'espèce avoir participé à une manifestation du Parti des Travailleurs du Kurdistan, organisation illégale (qui est bel et bien une organisation terroriste violente), en soutien au chef de ce parti, Abdullah Öcalan, incarcéré depuis 1999, ET d'avoir accroché une banderolle sur un pont ainsi rédigée : "Longue vie à notre chef Apo", Apo ("Tonton" en kurde) étant le surnom d'Öcalan.

Comme vous le voyez, c'est presque aussi grave que d'abîmer des caténaires de la SNCF.

Après six mois de détention provisoire, il fut déclaré coupable sur la base de ses déclarations en garde à vue (faites sans avoir pu bénéficier du conseil d'un avocat), quand bien même il les avait rétractées par la suite (sur le conseil de son fourbe avocat, ce pire ennemi de la vérité, de l'ordre public et de l'autorité de l'État) et condamné à 4 ans et six mois de prison, ramenés à 2 ans et demi et raison de sa minorité.

Je passe sur la procédure d'appel qui n'était pas non plus conforme aux standards de la Convention.

Les passages de l'arrêt qui ont retenu mon attention en ce qu'elles peuvent concerner la France sont ceux-ci. Après avoir rappelé que la Cour veille à ce que les droits garantis par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme soient effectifs et concrets, la Cour affirme que (j'ai ôté les références jurisprudentielles pour alléger le texte ; les gras sont de moi) :


54. La Cour souligne l'importance du stade de l'enquête pour la préparation du procès, dans la mesure où les preuves obtenues durant cette phase déterminent le cadre dans lequel l'infraction imputée sera examinée au procès (...). Parallèlement, un accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable à ce stade de la procédure, effet qui se trouve amplifié par le fait que la législation en matière de procédure pénale tend à devenir de plus en plus complexe, notamment en ce qui concerne les règles régissant la collecte et l'utilisation des preuves. Dans la plupart des cas, cette vulnérabilité particulière ne peut être compensée de manière adéquate que par l'assistance d'un avocat, dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s'incriminer lui-même. Ce droit présuppose que, dans une affaire pénale, l'accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions au mépris de la volonté de l'accusé. Un prompt accès à un avocat fait partie des garanties procédurales auxquelles la Cour prête une attention particulière lorsqu'elle examine la question de savoir si une procédure a ou non anéanti la substance même du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination (…). La Cour prend également note à cet égard des nombreuses recommandations du CPT (Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants-NdA) soulignant que le droit de tout détenu à l'obtention de conseils juridiques constitue une garantie fondamentale contre les mauvais traitements. Toute exception à la jouissance de ce droit doit être clairement circonscrite et son application strictement limitée dans le temps. Ces principes revêtent une importance particulière dans le cas des infractions graves, car c'est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques.


Une petite pause ici. Le droit français a été mis en conformité avec la Convention européenne des droits de l'homme par la loi du 4 janvier 1993 en prévoyant que tout gardé à vue a droit a l'assistance d'un avocat. La loi, comme effrayée de sa propre audace, a toutefois prévu que ce droit se résumait à un entretien de trente minutes sans que l'avocat ait accès au dossier. Un changement de majorité s'étant produit en mars de la même année, une loi du 24 août 1993 va repousser l'intervention de cet avocat à la 21e heure de garde à vue, parce que sékomsa. Cela permettait de tenir éloigné ce gêneur dont la tâche, non mais je vous demande un peu, consiste à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s'incriminer lui-même. En juin 2000, la loi a enfin permis à l'avocat d'intervenir dès le début de la garde à vue. Mais là encore, changement de majorité en 2002 et en mars 2004, une loi revient sur ce point en repoussant l'intervention de l'avocat à la 48e heure en matière de terrorisme, de trafic de stupéfiant et de délinquance organisée.

Je rappelle que des affaires comme celles de Julien Coupat ont été traitées selon cette procédure d'exception, de même que la plupart des gardes à vue des délits de solidarité qui n'existent pas : la dame arrêtée à son domicile pour avoir rechargé des téléphones mobiles d'étrangers a été interpellée pour aide au séjour en bande organisée. Quand bien même l'affaire va probablement aboutir à un classement sans suite, elle n'a pas eu droit à l'assistance d'un avocat pendant ses 14 heures de garde à vue.

Permettez à l'État de s'affranchir des libertés fondamentales en matière de terrorisme ou de délinquance organisée, et ne vous étonnez pas qu'un jour, il vous accuse d'un de ces faits pour s'affranchir d'avoir à respecter les vôtres.

Donc, l'intervention de l'avocat est repoussée de 48 heures dans trois série de cas. Systématiquement. Revenons-en à notre arrêt de la Cour.


55. Dans ces conditions, la Cour estime que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l'article 6 § 1 demeure suffisamment « concret et effectif » (…), il faut, en règle générale, que l'accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d'un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l'espèce, qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. Même lorsque des raisons impérieuses peuvent exceptionnellement justifier le refus de l'accès à un avocat, pareille restriction – quelle que soit sa justification – ne doit pas indûment préjudicier aux droits découlant pour l'accusé de l'article 6 (voir, mutatis mutandis, Magee, précité, § 44). Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d'un interrogatoire de police subi sans assistance possible d'un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation.


Arrêtez-moi si je me trompe (mais pas selon la procédure de délinquance organisée s'il vous plaît) : la cour dit qu'elle veut bien qu'on repousse l'intervention de l'avocat, mais elle doit avoir lieu en tout état de cause avant le premier interrogatoire de police, sauf à ce que des circonstances particulières au cas d'espèce (et non une règle de procédure générale appliquée systématiquement) font qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit.

Or les procédures françaises d'exception repoussent à la 48e heure cette intervention de l'avocat, systématiquement, et des interrogatoires du suspect ont bien évidemment lieu pendant ce laps de temps. C'est même le but : obtenir des aveux avant qu'un baveux vienne lui dire de se taire.

Conclusion logique : les procédures française d'exception ne sont pas conformes à la Convention européenne des droits de l'homme. Toutes les personnes qui ont avoué des faits dans ce laps de 48 heures peuvent demander une indemnisation pour violation de leurs droits, et la révision de leur procès (art. 626-1 du CPP) si elles ont été condamnées sur la base de ces aveux, car leur procédure est présumée avoir porté une atteinte irrémédiable à leurs droits de la défense.

Peut-être vois-je midi à ma porte car depuis 2004, où j'ai participé aux manifestations des avocats contre ce volet de la loi Perben II, je suis convaincu que cette procédure est contraire aux droits de l'homme. Je lirai donc avec intérêt tout point de vue contradictoire visant à démontrer que je me trompe.

Car si tel n'est pas le cas, le 27 novembre 2008 fut une belle journée pour les droits de l'homme.