vendredi 8 mai 2009

Nos bibliothèques sont-elles coupables?


DIDIER JACOB paru le 07 mai 2009
Sur Rebuts de presse du Nouvel Observateur

Si ce n'est toi, c'est donc ton étagère. L'affaire Coupat tournant à la débande politico-judiciaire, c'est maintenant aux livres de Julien que s'attaque la police, faute, évidemment, d'avoir pu prouver d'une quelconque manière la culpabilité de l'intéressé. Quand l'instruction est à poil, il y a toujours les bouquins de la communauté («5000», annonce la police, exagérant sans doute le chiffre comme si trop de lectures trahissait à l'évidence un dérèglement intellectuel et signalait le délinquant en puissance). Et l'on ne peut s'empêcher de considérer avec amusement ce renversement du discours habituel des forces de l'ordre, visant toujours à minorer tous les chiffres - de la délinquance, du nombre de badauds venus à la manif. Oui, c'est ainsi qu'il faut lire ce fort chiffre de «5000» bouquins trouvés dans la bibliothèque de Coupat: la Justice n'a rien contre lui.

«Il pouvait oublier de manger ou de dormir pour lire». Dixit, selon Libération(l'article de Gaël Cogné date du 21 avril), un ancien condisciple du fameux terroriste. Il n'est pas normal, vous voyez. Est-ce qu'on ne vous le disait pas, que ça allait mal tourner? Que, à force de bouquiner nuit et jour, ça finirait par jouer de la pince monseigneur pour empêcher les Corail de circuler. Lire, comme boire un verre: un ça va, deux, bonjour les... Pas fâchés d'avoir enfin mis à jour le mobile du crime, nos fins limiers de la PJ parlent d'écrits «qui légitiment les attaques contre l'Etat». Si seulement c'était vrai! Si tous les lecteurs de Dostoïevski finissaient criminels! Si, à lire Max Gallo, on devenait chauve, et cuistre en fréquentant de trop près notre Jacques Attali national. A vrai dire, c'est plutôt qu'on n'a pas assez luArsène Lupin, au Ministère de l'Intérieur, pour finir par légitimer ainsi ce qui n'est en somme qu'une énième déclinaison du délit de faciès.



lamouvancemartinetr6[1].jpg




Au fait, quels ouvrages? La gendarmerie n'ayant pas prévu, pour ses hommes, de stages en bibliothèques, le classement qu'elle a effectué le 11 novembre dernier est à prendre, on va le voir, avec des pincettes: «les archives, les pensées philosophiques, les ouvrages littéraires et l'histoire des civilisations.» 5000 ouvrages, donc (l'article de Libé précise que le brigadier à souligné ce chiffres en gras, tant il a dû lui paraître surhumain) mais seulement 27 qui, parmi eux, ont «retenu l'attention des enquêteurs». Ah bon? Seulement? Pas la peine de faire un foin avec les 5000 alors! Dieu merci, quelques livres d'auteurs «gauchistes» ont été aperçus: livres deAntonio Negri, d'un militant d'extrême-gauche allemand et d'un anar italien. Donc trois. A moins de devoir considérer comme dangereuse la thèse d'un professeur de sciences politiques à Montréal, «cité lors du contre-sommet de l'Otan».

 

Dans la catégorie brûlots, on note également un Tintin, version anticapitaliste, un livre de Nick Cohn, écrivain rock bien connu, et les «Techniques du chaos», de Timothy Leary. Qui s'est rendu célèbre en forçant les doses de tout, LSD surtout. Voyez, pas vraiment les grenades explosives annoncées. Vous me direz que Tintin, en héros guevariste, ou même Astérix tiens. Le petit village gaulois qui résiste aux à ces idiots de romains. Heureusement qu'ils ne l'avaient pas, celui-là, dans leur grange mal chauffée. Ils auraient pris perpét. Gauchistes, va!

 

L'histoire tournerait à la blague, si elle ne confirmait la méfiance fondamentale affichée au sommet de l'Etat à l'endroit de la culture. On regarde d'un sale oeil les chercheurs, parce qu'on se méfie de leurs livres. Et, bientôt, on va vouloir séparer les bons des mauvais. Une manière d'autodafé pratiqué en douceur. Lisez plutôt tel livre, va-t-on vous dire. Que tel autre. On va même s'y prendre tôt: Christine Albanel a annoncé récemment que chaque enfant recevrait à sa naissance un guide parental de conseils de lecture. Un «kit lecture», c'est le mot employé. Déjà, c'est joli. Ca donne une idée de ce qu'est un livre, pour la ministre qui veut faire lire. Un kit, c'est déjà moins chiant qu'un livre. En somme, c'est un deuxième carnet de santé. On saura si les enfants ont bien été vaccinés. De bouquiner.




1 commentaire:

  1. "L'affaire" de la bibliothèque de M. Coupat était déjà aberrante, mais j'ignorais ce projet de kit lecture. Flippant.

    RépondreSupprimer