mercredi 24 octobre 2012

RÉVÉLATIONS... sur soutien11novembre.org

   Comme chacun aura pu le lire ces dernières 24H, un nouvel élément du dossier vient une fois de plus balayer la version policière. Jusqu’ici, nous avions été habitué à ce que chaque nouvelle révélation sur les faux de la SDAT soit suivi (ou tout juste précédé) par un contre-feu plus ou moins misérable. Cela ne semble pas être le cas cette fois-ci (mais nous mettrons plus cela sur le compte de l’épuisement que du fair-play). A peine avons nous eu droit à de médiocres baragouinages policiers parus sur le site du nouvel obs 1h30 avant la publication du Canard Enchaîné. Autant y répondre.


Pourquoi Yldune Lévy ne s’est pas servi de ce retrait d’argent pour démonter la version plicière dès le 1er Jour de GAV ? (...)

dimanche 15 avril 2012

RETOUR... sur soutien11novembre.org






Message envoyé par soutien11novembre.org

Bonjour,
Après de longs mois de veille, le site du comité de soutien de Tarnac (http://soutien11novembre.org) va reprendre une activité régulière. Il y a eu, ces dernières semaines, de nombreux évènements qui auraient nécessité de notre part commentaires ou éclaircissements; du livre de David Dufresne au procès d’Adlène Hicheur, des dernières rafles anti-terroristes aux mails de mr Fragnoli à la presse, etc.

Nous revenons donc aux affaires et le site sera désormais très régulièrement alimenté. Vous pouvez dès à présent y lire la lettre de notre ami forgeron qui aura précipité la chute du juge Fragnoli (2), ainsi qu'une réaction d'un inculpé quant à ce désaisissement (3).

Nous sommes toujours 10 mis en examens pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et nous comptons toujours user de ce privilège pour pourrir la vie de ceux qui un jour, ont eu la mauvaise idée de nous sortir du lit cagoulés. Nous comptons plus que jamais finir cette histoire en beauté.

Aussi, vous pouvez désormais nous suivre sur twitter : https://twitter.com/#!/soutientarnac

A tout de suite.
(1) http://soutien11novembre.org
(2) http://soutien11novembre.org/spip.php?article571
(3) http://soutien11novembre.org/spip.php?article572




+ LE  GRAND JEU CONCOURS :

les renseignements généraux de la préfecture de police de Paris sont-ils des faussaires?
Réglement, conditions et la liste des prix à gagner sont déjà disponibles sur http://soutien11novembre.org


jeudi 5 avril 2012

Affaire de Tarnac : les étranges écoutes posées par France Télécom





[article paru sur le Monde.fr le 4 avril 2012]



Il a soufflé comme un vent de panique, le 4 avril 2008, chez France Télécom. En cause, les "bretelles" d'écoutes posées le 25 mars sur la ligne de l'épicerie de Tarnac (Corrèze) et découvertes par un technicien dans le central téléphonique du village. Selon les informations du Monde, l'enquête menée par la police judiciaire de Limoges a permis d'établir que l'ordre de placer l'épicerie sur écoutes est venu directement d'un service de la direction générale du groupe France Télécom.

Il s'agit d'un des services chargés de gérer les demandes d'interceptions administratives des services"atteinte au secret des correspondances" et "atteinte à l'intimité de la vie privée" à la suite d'une plainte des gérants du magasin. de renseignement. Et c'est un technicien de l'opérateur qui avait posé le dispositif, très artisanal : l'équivalent de pinces crocodile, et deux fils qui dérivent de la ligne. Les policiers ont fait ces découvertes dans le cadre de l'information judiciaire ouverte par la juge d'instruction de Brive-la-Gaillarde, Cécile Lasfargues, le 3 janvier 2012, pour

Le donneur d'ordre ? Les services de renseignement qui suivaient alors avec attention ces jeunes gens qu'ils rangeaient dans la mouvance "anarcho-autonome", huit mois avant leur interpellation. Un spécialiste des écoutes chez France Télécom s'étonne toutefois de l'aspect rudimentaire du dispositif, posé, de surcroît, de travers : il a été découvert à la suite d'interférences sur la ligne.

La juge va maintenant devoir remonter le fil qui va de l'avis de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), à la signature, obligatoire, du cabinet du premier ministre, François Fillon, puis au groupement interministériel de contrôle (GIC) qui a le monopole du contrôle des interceptions administratives. "La CNCIS a une interprétation restrictive de la notion de terrorisme, assure Me William Bourdon, avocat des gérants du magasin. On a du mal à se convaincre qu'elle ait autorisé sur ce motif." A l'époque, Julien Coupat, considéré par les policiers comme le leader du groupe, et sa compagne, Yildune Lévy, ont bien été signalés par le FBI américain aux services français, après un passage de frontière illégal et une participation à une réunion anarchiste à New York, en janvier 2008, mais ils n'ont, juridiquement, aucun rôle dans l'épicerie.

PARANOÏA

Lorsque ces écoutes sont posées, on est assez loin du déferlement médiatique de l'"affaire de Tarnac" : neuf personnes interpellées devant les caméras, le 11 novembre 2008, puis mises en examen pour "association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte terroriste". Elles sont notamment soupçonnées d'avoir posé, en octobre et novembre 2008, des crochets métalliques sur des caténaires pour désorganiser les lignes de la SNCF.

En mars 2008, les jeunes gens, installés à Tarnac depuis le début des années 2000, s'occupent d'une épicerie-bar-restaurant et d'une ferme. Et la fiche de mission de Gilles C., technicien de France Télécom à Ussel, indique un simple dérangement, le 4 avril : depuis le 25 mars, le terminal de carte bancaire de l'épicerie de Tarnac, qui passe par la ligne téléphonique, ne parvient plus à transmettre. D'ailleurs, Gilles C. n'hésite pas à demander à l'un des gérants de l'accompagner dans le central téléphonique avec la machine à carte bancaire pour faire des essais. C'est interdit par le règlement, mais, après tout, si cela permet d'aller plus vite, quel est le mal ?

Pas de chance, le technicien découvre les deux fils qui dérivent de la ligne. "J'ai tout de suite compris qu'il ne s'agissait pas d'un simple piratage privé de téléphone mais de quelque chose de louche", a-t-il précisé aux enquêteurs. C'est toute sa mission qui déraille alors. Son chef lui demande d'enlever le dispositif et il quitte précipitamment Tarnac pour Ussel. Il laisse derrière lui d'autres branchements suspects.

Mais il n'a "pas fait dix kilomètres" que son responsable le rappelle : Paris est alerté et va l'appeler. Quelques minutes plus tard, un responsable des écoutes lui demande de raconter son histoire. Le lendemain, il est convoqué à la direction régionale, à Bordeaux. Interrogé, il fait un rapport. Jusqu'ici, tout va bien. Mais ça ne dure pas : la journée se termine par une mise à pied, à peine vingt-quatre heures après l'incident. Voilà pour le technicien Gilles C., qui finira par hériter d'un blâme et refuse depuis de parler de l'affaire.

Son responsable, Pascal C., a également eu les oreilles qui chauffent. Dès le premier coup de fil, il a "immédiatement pensé" à une interception téléphonique, a-t-il confié aux policiers lors de son audition, à l'automne 2011. Il appelle l'un des techniciens habilité à en poser. Celui-ci lui confie qu'"il en avait bien réalisé trois". Il retrouve d'ailleurs la trace de l'intervention dans l'application informatique, à la date du 25 mars. Il remonte la piste jusqu'à la direction générale, à Paris. Son interlocuteur parisien n'apprécie pas. Il parle "affaire sensible", "sécurité nationale". Les techniciens limousins ont mis les pieds dans le plat.

Quelques mois plus tard, l'"affaire" de Tarnac a éclaté. Nous sommes en 2009. Tous les mis en examen sont libres, à l'exception de Julien Coupat. Deux des jeunes filles, de retour de trois semaines de détention provisoire, décident de se pencher sur l'incident, qui prend maintenant une autre couleur. Leur but : récupérer le bordereau d'intervention du 4 avril 2008.

Mais il règne dans l'équipe de techniciens de France Télécom une certaine paranoïa. Ils ont peur, craignent d'être suivis. Il y a Benoît D., qui accepte de parler, mais loin de ses bureaux. A la jeune femme, il assure que tout a été effacé des bases de données... jusqu'à la date du 9 août 2008, ouverture officielle d'une écoute dans le cadre de la procédure judiciaire. Puis, il se ferme. Un dernier technicien lâche le morceau : leur direction, à Limoges, leur a interdit de parler. La petite enquête tourne court. Il faudra attendre deux ans pour que les policiers prennent le relais.

samedi 17 mars 2012

CONTRE EXULTATION





Quand le juge de Tarnac interloque
Article publié le 16/03/12 sur liberation.fr, par Patricia Tourancheau

Les frasques du juge antiterroriste Thierry Fragnoli, qui instruit à la hussarde le dossier dit de Tarnac, vont-elles entraîner son dessaisissement ? Libération a appris que les avocats de Julien Coupat, mis en examen pour «organisation d’une association de malfaiteurs terroristes», déposent aujourd’hui une «requête en récusation», auprès du premier président de la cour d’appel de Paris, contre Thierry Fragnoli. Des «propos subjectifs» qu’il a tenus à des journalistes trahiraient un «parti pris en faveur de la culpabilité».

Le dernier épisode désopilant du magistrat, révélé mercredi par le Canard enchaîné, vient «conforter» à leurs yeux le côté va-t-en-guerre et revanchard du juge contre les mis en examen. Fragnoli a envoyé un mail à des journalistes, depuis son adresse professionnelle, pour couper l’herbe sous le pied du Canard qui venait de l’appeler au sujet d’une sacoche bourrée de documents confidentiels oubliée par un des enquêteurs lors d’une perquisition. Le 23 février, à Mont-Saint-Aignan, près de Rouen, le juge a débarqué avec une trentaine de policiers de l’antiterrorisme (SDAT) chez un forgeron suspecté d’avoir fabriqué les crochets ayant servi à saboter une ligne TGV fin 2008. Charles R. a été embarqué en garde à vue (puis relâché sans mise en examen), mais ses proches ont récupéré une sacoche avec les noms et numéros de portable des enquêteurs, les photos et adresses en Normandie de personnes surveillées, et un PV de garde à vue en blanc estampillé par la SDAT, pas du tout réglementaire.

«Durite». Après le coup de fil du Canard lundi, le juge Fragnoli s’est empressé d’alerter par écrit certains journalistes moins corrosifs du Nouvel Observateur, de l’Express et d’Europe 1, qu’il appelle «amis de la presse libre». Précisant, entre parenthèses : «Je veux dire celle qui n’est pas affiliée à Coupat/Assous.» Cette allusion à Jérémie Assous, l’un des défenseurs de Julien Coupat, démontre, selon la requête de Thierry Lévy, Louis-Marie de Roux et Me Assous lui-même, «l’existence d’une animosité personnelle de M. Fragnoli à l’égard de l’un des mis en examen et de l’un de ses avocats, mais également un mépris total de la part du magistrat des obligations de sa fonction».

Dans ce mail ayant pour objet «scoop Coupat/Canard», le juge alerte et informe des journalistes non-collabos - si l’on comprend bien - sur la perte de ces «documents policiers» qui n’ont «aucun intérêt» : «Bon alors avant que vous me demandiez ce que j’en pense - en OFF - depuis mes vacances (je pars tout à l’heure 2 semaines en Espagne)…» Du jamais-vu. Que des juges parlent en «off» (de façon confidentielle) à des journalistes, la presse ne va pas s’en plaindre. Mais quelle mouche a piqué le juge Fragnoli pour cumuler ainsi les imprudences ? Pour un de ses confrères, «ce mélange confondant d’aveuglement et de naïveté montre qu’il a pété une durite. Il a été blessé par cette affaire. Là, ça dérape, on est sorti du débat terro-pas terro [-risme, ndlr]

«Gibier». Depuis plus de trois ans, le débat fait rage autour de ce dossier censé illustrer «la menace de la mouvance anarcho-autonome» ou de «l’ultra-gauche». Les policiers du renseignement (RG, DCRI) et de la PJ, ainsi que la ministre de l’Intérieur d’alors, Michèle Alliot-Marie, l’ont survendu en terrorisme, là où d’autres ne voient qu’une simple affaire de droit commun, une dégradation de voie ferrée comme il en existe 4 000 chaque année. A force de s’enferrer dans la qualification de terrorisme pour ne pas laisser à d’autres «son» dossier, Fragnoli a peut-être dérapé avec ce mail. Un haut magistrat «n’en revient pas», un autre prédit «une sanction disciplinaire», mais «pas pour violation du secret», et la chancellerie ne «souhaite pas faire de commentaires».

Dans leur requête, Mes Lévy, Roux et Assous, - auxquels s’associe Me William Bourdon pour Yldune Lévy, autre mise en cause -, visent également «les entretiens nombreux» que le journaliste David Dufresne a eus avec le juge entre 2009 et 2011(lire ci-contre), lesquels révèlent son «point de vue» et ses «émotions». L’auteur y écrit que le juge «exultait» lorsqu’il a appris que des tubes en PVC ayant pu servir de perches pour poser les crochets sur les caténaires avaient été retrouvés au fond de la Marne.

Son «excitation» est comparée à celle «d’un orpailleur dans un champ de ruines, des perches pour pépites» alors que le dossier manque d’éléments bétons : «Il était persuadé de tenir enfin la preuve matérielle qui allait clouer le bec à tout le monde […]. Il serait réhabilité. A son entourage, il affirma qu’il était désormais persuadé qu’il ne prononcerait pas de non-lieu.» Pour les avocats, «en acceptant de se livrer ainsi, M. Fragnoli a cessé d’être un magistrat impartial qui doit, selon la loi, instruire à charge et à décharge. Il s’est publiquement comporté comme un chasseur poursuivant son gibier».

Que décidera la justice contre lui ? Et sa hiérarchie ? Pour avoir rencontré une source hors PV dans l’affaire Clearstream, le juge financier Renaud Van Ruymbeke est poursuivi par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) depuis près de cinq ans. Le juge Patrick Ramaël, qui instruit les disparitions à Paris de l’opposant marocain Mehdi ben Barka et en Côte-d’Ivoire du journaliste Guy-André Kieffer, est renvoyé devant l’instance disciplinaire pour un manque de délicatesse envers sa hiérarchie. Et le juge Marc Trévidic, en charge de l’attentat de Karachi et du génocide au Rwanda, a été menacé de sanctions pour avoir reçu des journalistes.





Tarnac : l'étrange e-mail du juge
Article publié le 16/03/12 sur arretsurimage.net.fr, par Dan Israel

Le juge parle à "la presse libre", et met en danger son enquête. Mercredi, le Canard enchaîné a publié un étrange e-mail, adressé par le juge d'instruction Thierry Fragnoli à plusieurs journalistes qui suivent les rebondissements de l'enquête, qu'il instruit toujours, sur les "anarcho-autonomes" et autres membres de "l'ultra-gauche" interpellés à Tarnac en novembre 2008. Ce message faisait suite à un coup de fil du Canard,qui s'intéressait à un malencontreux épisode : le 23 février, des policiers de la Sous-direction antiterroriste de la PJ (Sdat), en pleine perquisition près de Rouen, ont laissé sur place une sacoche pleine de documents confidentiels et un téléphone portable.

Des documents qui n'auraient "aucun intérêt" (mais comportaient tout de mêmes les identités et les numéros de portables de plusieurs policiers et des détails sur les opérations de surveillance en cours), a assuré Fragnoli à ses correspondants.

Mais le message du juge est pour le moins surprenant : il s'agit d'un e-mail envoyé à plusieurs journalistes en même temps, où il précise qu'il parle en "off", et qu'il assure avoir réservé à ses "amis de la presse libre", c'est-à dire "celle qui n'est pas affiliée à Coupat/Assous". Julien Coupat est le leader du "groupe de Tarnac", et Jérémie Assous, un de ses avocats, adepte du battage médiatique contre l'enquête policière et judiciaire.


Ce mail groupé est une vraie maladresse de la part du juge. Ce matin, Libération assurait que "les avocats de Julien Coupat, mis en examen pour «organisation d’une association de malfaiteurs terroristes», déposent aujourd’hui une «requête en récusation», auprès du premier président de la cour d’appel de Paris, contre Thierry Fragnoli". Ils estiment que les "propos subjectifs" qu'il a tenus trahissent un "parti pris en faveur de la culpabilité" de Coupat et de ses amis. L'article cite un juge anonyme, qui estime que "ce mélange confondant d’aveuglement et de naïveté montre qu’il a pété une durite" : "Il a été blessé par cette affaire. Là, ça dérape."

Les avocats comptent aussi s'appuyer sur les entretiens que Fragnoli a eu avec le journaliste David Dufresne, auteur d'un récent (et excellent) livre sur l'affaire. Ils révèleraient son "point de vue" et ses "émotions". Dufresne raconte notamment que le juge "exultait" en apprenant que des tubes en PVC qui auraient pu servir de perches pour poser les crochets sur les caténaires avaient été retrouvés.

"Que décidera la justice contre lui ?", s'interroge Libé, qui rappelle à très bon escient que plusieurs juges d'instruction, jugés un peu trop dérangeants dans leurs investigations, sont dans le collimateur : "Pour avoir rencontré une source hors PV dans l’affaire Clearstream, le juge financier Renaud Van Ruymbeke est poursuivi par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) depuis près de cinq ans. Le juge Patrick Ramaël, qui instruit les disparitions à Paris de l’opposant marocain Mehdi benBarka et en Côte-d’Ivoire du journaliste Guy-André Kieffer, est renvoyé devant l’instance disciplinaire pour un manque de délicatesse envers sa hiérarchie. Et le juge Marc Trévidic, en charge de l’attentat de Karachi et du génocide au Rwanda, a été menacé de sanctions pour avoir reçu des journalistes."

Qui est le juge Fragnoli ? Que cherche-t-il à prouver ? Pourquoi aime-t-il Kill Bill ? Des questions auxquelles a longuement répondu sur notre plateau David Dufresne.



voir+ europe1.fr




mercredi 14 mars 2012

Mark Kennedy: la taupe de Tarnac






Article publié le 13/03/12 sur Les Inrocks

Pendant sept ans et dans toute l’Europe, le policier anglais Mark Kennedy s’est fait passer pour un gauchiste radical. En France, il a fourni à la DCRI des informations sur les mis en examen de Tarnac. Récit d’une infiltration.


Son grand corps blond tatoué aux bras, sa queue de cheval et ses petits yeux qui louchent ont fait la une des journaux anglais en janvier 2011. Mark Stone, militant gauchiste international. Mais l'habit ne fait pas le rebelle : sous la fausse identité de Stone se cache le policier Mark Kennedy.

De 2003 à 2010, Stone/Kennedy a infiltré la gauche radicale anglaise et européenne. Il a vécu undercover chez les activistes écologistes, altermondialistes, anarchistes et antifascistes, partageant leurs repas, leurs fêtes, leurs manifs. Parfois leurs lits. Ils ont fini par découvrir sa trahison mais trop tard. Tout ce qu'ils faisaient et disaient depuis sept ans était déjà entre les mains de la police.

Stone a aussi œuvré en France. Il semble même avoir joué un rôle important dans l'affaire de Tarnac. Dans plusieurs pays européens, son rôle d'agent provocateur a suscité des scandales. En France, ses activités restent méconnues.

L'infiltration commence en 2002. Mark Kennedy, policier à Londres depuis huit ans, rejoint la National Public Order Intelligence Unit, une agence britannique qui surveille les "extrémistes domestiques" (anarchistes, défenseurs de la cause animale...).

Sa mission débute en août 2003 : il doit s'immerger dans le milieu des écologistes radicaux et gagner leur confiance. Il enfile un bermuda, attache ses longs cheveux et se rend seul sur le campement du groupe écolo Earth First. Il s'y fait des amis et leur offre ses bras pour soutenir leur cause. Il donne même de l'argent. Il dit gagner sa vie à l'étranger comme alpiniste professionnel.

En 2009, des activistes commencent à se méfier

Avec les écolos britanniques, il débat, manifeste, danse et boit. Personne ne doute de ce militant si zélé, toujours prêt à accrocher une banderole sur une centrale électrique ou à conduire ses camarades sur les lieux d'une action dans son pick-up bleu. Pendant sept ans, il voyage. Dans onze pays, il infiltre et espionne, nous apprend un rapport de la police anglaise : réunions internationales, "camps climat", villages alternatifs, contre-sommets.

Mais en 2009, malgré six ans de parfaite intégration, des activistes commencent à se méfier de lui. En avril, quand vingt-sept écolos sont arrêtés pour avoir planifié l'invasion d'une centrale à charbon, Mark est le seul à ne pas être poursuivi. En octobre 2010, sa petite amie, une militante, trouve dans son sac un passeport au nom de Mark Kennedy. Elle se confie à ses camarades.

Ensemble, ils enquêtent et trouvent des documents confirmant sa fausse identité. Ils comprennent que leur camarade est policier. Un matin, six personnes l'interrogent pendant plusieurs heures dans une maison de Nottingham, jusqu'à ce qu'il avoue. Ils le laissent partir et alertent le Guardian, qui révèle l'espionnage de l'extrême gauche par la police anglaise.

Un pied dans l'affaire de Tarnac

Quels dégâts a commis l'infiltré ? Durant toute la période où il a agi, les polices européennes se sont coordonnées. Elles ont échangé un maximum d'informations sur les déplacements internationaux des activistes, installé des dispositifs de sécurité inviolables lors des contre-sommets, surveillé au plus près les mouvements jugés potentiellement déstabilisateurs ou terroristes. Pièce clandestine de ce dispositif, Kennedy a surveillé des militants allemands, islandais, italiens, espagnols et français.

C'est ainsi qu'il met un pied dans l'affaire de Tarnac. Rappelons les événements de novembre 2008 : la police antiterroriste française lance un raid sur la ferme de Tarnac, en Corrèze, arrête là-bas et dans d'autres villes vingt personnes qu'elle soupçonne d'avoir comploté pour ébranler l'Etat en sabotant des voies SNCF. Dix sont mises en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.

En avril 2008, quand le parquet ouvre une enquête préliminaire sur ce groupe de Tarnac, il a très peu d'éléments. Il dispose du travail des Renseignements généraux (RG) sur certains de ces militants. Dans ces dossiers, plusieurs informations viennent de Mark Kennedy, qui travaillait aussi pour des policiers français. L'agent a croisé au moins trois fois les jeunes gens de Tarnac. A chaque fois, ses observations ont laissé une trace dans le dossier judiciaire établi contre les comploteurs présumés. "Il est à notre sens fort probable qu'il ait joué un rôle très important", affirme Joseph Breham, l'un des avocats des mis en examen.

Le premier contact entre Stone et les habitants de Tarnac a lieu en février 2007 à Varsovie, en Pologne. Un vendredi, cent à deux cents militants venus de toute l'Europe se retrouvent dans une salle publique pour décider des actions à mener contre le G8 d'Heiligendhamn, prévu en juin.

Un autonome français de 30 ans participait à ce rassemblement. Il nous décrit les lieux : "Ça ressemblait à un centre social. Nous étions dans une salle où se tenaient parfois des concerts." Rien de secret : tous les débats sont annoncés sur des affiches et sur le site alternatif Indymedia. "C'était plutôt ouvert, ajoute notre témoin. Pas un truc black bloc clandestin." Dans la foule des altermondialistes, des activistes du réseau Dissent! et des partisans de Die Linke (l'équivalent du Parti de gauche en Allemagne), cinq personnes du "groupe de Tarnac".

Sur la manière de contre-manifester au sommet du G8, les stratégies divergent. "Depuis Seattle et Gênes, c'est la discussion systématique : faut-il s'approcher de la zone rouge, bloquer les voies d'accès au sommet, faire autre chose ?" Rodées aux contre-sommets, les polices européennes renforcent chaque année leur dispositif de sécurité. Il devient de plus en plus difficile pour les militants de s'approcher des lieux. C'est là que les cinq Français de Tarnac proposent un plan B : faire irruption par surprise à Hambourg ou Berlin, loin du sommet, là où les forces de police ne se seront pas déployées préventivement. Dans la salle, Mark Stone les écoute. Il est venu avec des militants écolos anglais.

"Notre seul lien avec la Pologne est cette réunion-là"

Un an après, en juin 2008, la direction des RG remet au ministre de l'Intérieur un rapport confidentiel-défense (publié en mars 2012 par Mediapart) intitulé : "De la contestation anti-CPE à la constitution d'un réseau préterroriste international : regard sur l'ultragauche française et européenne". Dans ce rapport, trois personnes du groupe de Tarnac sont citées noir sur blanc comme ayant participé à la réunion de Varsovie. Le document les désigne comme "premier cercle" d'un "groupe informel d'ultragauche de type autonome" préparant des actions violentes en Europe.

A la même période, la police française demande l'ouverture d'une enquête préliminaire sur le groupe de Tarnac. Dans leur demande au procureur, les policiers s'inquiètent des "rendez-vous internationaux de la mouvance anarcho-autonome" et citent comme premier exemple celui de la Pologne.

Pour les mis en examen de Tarnac, c'est une certitude : Mark Stone a révélé leur présence à Varsovie à la police française. L'un d'eux nous explique : "Le début de l'enquête policière se fonde sur nos prétendues relations à l'étranger. Notre seul lien avec la Pologne est cette réunion-là, à laquelle Stone a assisté. D'autres informateurs auraient pu signaler notre présence en Pologne, mais cela s'est répété ensuite : à chaque fois que Stone nous a croisés quelque part, des éléments sur nous ont atterri dans les dossiers de la police." Il se souvient du policier infiltré : "Tu voyais sa gueule, tu t'en rappelais. Il avait un œil qui regardait par là, il était un peu plus vieux que la plupart des participants et parlait anglais au milieu d'Allemands et de Polonais."

"Du moment qu'il décide de vivre avec nous, c'est indétectable !"

Joël*, militant français du réseau Dissent!, actif dans l'organisation des contre-sommets, assistait à la réunion de Varsovie. Il y avait remarqué Stone parce qu'il l'avait déjà croisé pendant la préparation du contre-sommet de Gleneagles, en 2005.

"Pour moi, Mark faisait partie des gens qui avaient créé Dissent! en Angleterre. Je l'ai rencontré à Londres dans un squat qu'il avait ouvert avec des amis. Je ne lui ai pas vraiment parlé. Ce n'était pas quelqu'un qu'on abordait facilement : il était très british, un peu en retrait."

Lorsque le policier est démasqué quatre ans plus tard en 2010, Joël n'en revient pas. "Pour éviter l'infiltration, on dit qu'il faut bien connaître les gens. Mais du moment qu'il décide de vivre comme nous, d'être parmi nous pendant des années, c'est indétectable ! Personne n'avait aucun doute à son sujet."

Indétectable, indétecté, Mark Stone fait son nid dans des petits cercles de militants pourtant prudents. Un an après Varsovie, en janvier 2008, on le retrouve à New York. Accompagné d'un ami anarchiste américain qui vit en Angleterre, il est dans le bureau d'une activiste new-yorkaise, à Manhattan. Se joignent à eux un autre Américain, un Japonais vivant aux Etats-Unis et deux Français : Julien Coupat et sa compagne Yldune Lévy, en vacances à New York. Ils ne connaissent que l'ami américain de Mark. Celui-ci les invite à rencontrer ses copains.

"Ce sont des potes de potes de pays différents, avec à l'évidence des centres d'intérêt communs, qui se retrouvent au même endroit et discutent quelques heures, explique un proche de Julien Coupat. Tout le monde fait ça." Quel souvenir les participants de cette réunion gardent-ils de Mark Stone ? "Il avait toujours l'air normal, avec ses tatouages et ses piercings, comme un poisson dans l'eau", raconte l'un d'eux.

D'après ce témoin, le policier infiltré avait expliqué qu'il était venu à New York "voir son frère". Durant la réunion, Julien Coupat prend quelques notes dans son carnet. Ce jour-là, il griffonne ce prénom : "Mark".

Quelques jours après, Julien Coupat et Yldune Lévy rentrent en France. Pour cela, ils franchissent la frontière Etats-Unis/Canada illégalement, en pleine nature, loin des douaniers. Pourquoi ? Pour entrer aux Etats-Unis, ils devaient posséder un passeport biométrique et donc donner leurs empreintes digitales. Comme ils s'y refusent, ils sont passés par le Canada, qui n'exige pas d'empreintes, en franchissant la frontière par les bois.

A l'aller, pas de problème. Au retour, des camarades américains les conduisent en voiture au plus près de la frontière puis les laissent la franchir à pied pour les récupérer côté canadien. Mais avant qu'ils ne se rejoignent, la police canadienne contrôle la voiture. Elle découvre le sac à dos de Julien Coupat, son permis de conduire, son carnet et des photos de Times Square. Comprenant que le Français a dû franchir la frontière illégalement, la police canadienne saisit ses affaires, qui lui seront par la suite restituées.

Qui pouvait révéler aux RG la présence des Français à Manhattan ?

Quatre mois plus tard, en France, la Sous-division antiterroriste (Sdat) demande au procureur d'ouvrir une enquête préliminaire sur le groupe de Tarnac, dont aucun membre n'a encore été arrêté. La police antiterroriste motive sa demande en dressant le portrait d'une "structure clandestine anarcho-autonome entretenant des relations conspiratives avec des militants de la même idéologie implantés à l'étranger".

Pour le prouver, les policiers citent le voyage américain de Julien Coupat et Yldune Lévy, leur passage clandestin de la frontière et leur participation à une "réunion d'anarchistes américains à New York". Ils évoquent également un engin incendiaire lancé contre un centre de recrutement de l'armée américaine à Times Square, pour lequel l'enquête n'a trouvé aucun coupable. La police américaine a pourtant écarté une participation des Français à cette attaque puisqu'ils avaient déjà quitté les Etats-Unis.

Dans leur lettre au procureur, les policiers de la Sdat affirment que ces informations leur ont été fournies par les RG. Qui pouvait révéler aux RG la présence des deux Français à la petite réunion anarchiste de Manhattan ? Les mis en examen confirment que leurs soupçons se portent sur Mark. L'un deux précise : "Les Américains présents ce jour-là ont par la suite été inquiétés par la police : ça ne peut donc pas être eux qui ont informé les policiers français. Reste le Japonais et Stone. Vu ce qu'on sait de lui maintenant, j'en déduis que l'information vient de Stone."

Au bon endroit, au bon moment. Pendant l'été 2008, trois mois avant leur arrestation, les habitants de Tarnac voient débarquer dans leur ferme deux visiteurs. Mark Stone et son copain américain, celui qui l'accompagnait à New York. Une visite amicale, tourisme militant. "L'été, à Tarnac, il y a toujours plein de gens qui passent", raconte un résident de la ferme du Goutailloux, transformée en lieu de rendez-vous et d'habitation collective.

"Les visiteurs vont et viennent, deux jours ou deux semaines. Ils dorment sous la tente ou chez des gens. S'il y a des travaux à faire, les volontaires participent, les autres se baignent, lisent, cuisinent, se promènent, regardent des films. Stone est passé par là comme des centaines de personnes depuis des années. Je n'ai aucun souvenir de lui sinon qu'il était là. Ce n'était pas un pote et il ne nous collait pas aux basques."

"Une fois de plus, Stone est parmi nous et un renseignement parvient à la police"

Fin juillet. Mark Stone campe à Tarnac. A Paris, un policier antiterroriste rédige ce procès-verbal :

"Ce jour, sommes avisés par une source désirant garder l'anonymat qu'un membre important de la mouvance anarcho-autonome d'origine italienne et agissant au niveau européen est susceptible de se rendre, le 30 juillet 2008 en milieu d'après-midi, à la gare de Limoges (Haute-Vienne), en provenance de Paris, afin d'y être pris en charge dans le but de rencontrer le nommé Julien Coupat."

Cet Italien, que la police considère comme un "membre important de la mouvance", se nomme Marcello Tari, c'est un chercheur indépendant, auteur d'un livre sur le mouvement autonome italien des années 70 édité en France.

Notre témoin de Tarnac ne croit pas à une coïncidence : "Une fois de plus, alors que Stone est parmi nous, un renseignement parvient à la police. Les autres militants qui passaient à la ferme n'ont pas attiré l'attention du dénonciateur mais Marcello Tari, si. Tari était présent au même G8 que Stone, qui l'a peut-être repéré à ce moment-là : comme Stone, Tari est un peu plus vieux que la moyenne."

Quels furent les liens entre Mark Stone et la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur, issue de la fusion entre les RG et la DST) ? En février 2011, L'Express apporte une nouvelle information sur les activités de Stone en France. Dans un court article, le magazine avance qu'il a informé des policiers français sur Tarnac : "C'est en partie grâce à lui que la DCRI a pu reconstituer les déplacements à l'étranger de Coupat." Sans rien dire de plus.

Un mois plus tôt, dans le quotidien anglais The Daily Mail, Stone avait délivré un indice : "Je ne serais jamais allé à l'étranger sans l'accord de mes supérieurs et de la police locale."

Ses explications concordent avec celles du rapport d'inspection de la police anglaise, rendu public en février 2012. Selon ce rapport, "Mark Kennedy a visité ou servi dans onze pays, à plus de quarante occasions, dont quatorze visites en Ecosse. La National Public Order Intelligence Unit (responsable de Stone - ndlr) concluait des accords avec les pays hôtes pour les déplacements de Mark Kennedy à l'étranger."

Quelques jours après la remise du rapport, le Home Office (équivalent du ministère de l'Intérieur) développe : "Tous les déplacements de Mark Kennedy étaient autorisés par le Royaume-Uni, avec l'accord des Etats concernés et un soutien du pays hôte. (...) L'autorisation de déplacement était négociée et facilitée par le réseau approprié d'officiers de liaison." Accord du pays hôte, c'est-à-dire de la France et de ses autorités. Mais il sera difficile d'en savoir plus.

A Scotland Yard, à Londres, on ne veut rien nous dire : "Nous ne communiquons pas sur les policiers infiltrés, qu'ils soient toujours en mission ou pas." A Paris, la DCRI a refusé de répondre à nos questions. Quand nous contactons Stone, en septembre 2011, il se dit prêt à témoigner : "Vous rencontrer et discuter de votre article pourrait m'intéresser", nous répond-il par mail. Mais au final, il ne donne jamais suite.

"Un policier infiltré étranger, c'est plus sûr qu'un indic"

Un lieutenant de police, qui veut rester anonyme, revient sur la collaboration entre Mark Stone et la DCRI. Il nous explique qu'un officier français, chargé des mouvements altermondialistes et des contre-sommets à la Section contestation et violences des RG, gérait les infos fournies par Stone.

Début 2007, précise notre source, l'officier montre à ses collègues la photo d'un homme posant devant une tente et le décrit comme un policier anglais infiltré avec qui il travaille. Ses collègues sont heureux de l'apprendre : "Un policier infiltré étranger représente une source de grande qualité, explique le lieutenant. C'est plus sûr qu'un indic : il ne craint pas de trahir ses copains, il s'oriente où on le lui demande." Selon le policier, Mark Stone pouvait informer les Français de deux façons.

"Soit il avait un officier traitant à la Section traitement du renseignement qui le rencontrait et faisait passer ses infos à la Section contestation et violences ; soit il envoyait ses rapports à sa hiérarchie en Angleterre, qui transmettait tout renseignement utile à la France par le biais de la Division des relations internationales des RG."

Stone aurait aussi renseigné la DST (Direction de la surveillance du territoire). Cette fois, l'homme qui nous l'affirme est un haut fonctionnaire du ministère de l'Intérieur de l'époque. Il suivait de près le dossier de Tarnac.

"Un policier de la DST m'a révélé que Mark Stone les informait. Selon lui, les services secrets anglais ont prévenu la DST que leur agent travaillait sur le territoire français. Par politesse, ils ont proposé à la DST de bénéficier de ses informations. Un officier traitant français, de la Sous-direction du contre-terrorisme, lui a été affecté et le débriefait régulièrement."

De quoi parlait Stone à son officier français ? "Selon mon contact à la DST, Stone était considéré comme un très bon spécialiste de l'ultragauche européenne. Les services français voient cette mouvance comme une nouvelle menace terroriste depuis 2005 environ. En matière de terrorisme, aucun renseignement n'est anodin."

A l'époque, la moindre info sur les voyages à l'étranger des militants de Tarnac peut renforcer le soupçon d'une conspiration extrémiste et violente. "En 2008, la DCRI avait besoin d'un acte fondateur pour prouver son efficacité dans la lutte antiterroriste. Alain Bauer et Michèle Alliot-Marie avaient souscrit à la possibilité d'un attentat d'extrême gauche sur le sol français. Tarnac leur a fourni l'occasion qu'ils cherchaient pour frapper un grand coup."

"Une violation grave de la notion de procès équitable"

Pour l'un des avocats du groupe de Tarnac, William Bourdon, la contribution de Mark Stone à l'enquête française pose problème.

"Si c'est avéré, c'est aussi grave que les écoutes téléphoniques effectuées à Tarnac avant toute procédure judiciaire. La façon dont la police obtient ses preuves doit être encadrée. On dévoie la notion de terrorisme pour obtenir des preuves que l'on ne pourrait jamais utiliser dans d'autres affaires. Les services de renseignement possèdent probablement un dossier bien plus épais que le dossier judiciaire. Mais il n'a pas été dévoilé aux avocats de la défense. C'est une violation grave de la notion de procès équitable."

En 2010, après les mises en examen dans l'affaire de la SNCF, Stone continue de fréquenter les proches de la bande de Tarnac. Il passe plusieurs jours en Allemagne chez une militante antinucléaire soupçonnée d'avoir commis des sabotages sur des voies de chemin de fer dans son pays plusieurs années auparavant. Elle connaît Julien Coupat. Le juge d'instruction, Thierry Fragnoli, s'est déjà intéressé aux liens du groupe de Tarnac avec des militants allemands.

Fin 2010, Stone envoie un mail à l'anarchiste américain qui l'avait mis en contact avec les Français. D'après un mis en examen de Tarnac, Stone questionnait son ami sur les projets des Français pour le G8 de Deauville prévu en mai 2011. L'Américain, qui aujourd'hui ne veut plus entendre parler de cette histoire, n'a jamais eu le temps de lui répondre : Mark Stone a été démasqué quelques jours plus tard.

Dans les autres pays européens où Stone a travaillé, l'affaire a fait scandale. En Angleterre, son rôle d'agent provocateur, établi par la justice, a fait annuler deux procès d'activistes. La police anglaise a subi huit enquêtes différentes au sujet de Stone/Kennedy, entraînant des réformes dans l'organisation des services.

Le sujet est d'autant plus sensible qu'il a été reproché au policier d'avoir entretenu des relations sexuelles et amoureuses avec certaines militantes à l'insu de ses supérieurs. "Quelque chose a très mal tourné", a déclaré le ministre de l'Intérieur britannique. Sans oublier que l'affaire Kennedy, en éveillant la méfiance des activistes et des journalistes, a permis à ceux-ci de démasquer huit autres policiers infiltrés dans les milieux d'extrême gauche.

Allemagne, Irlande, Islande

En Allemagne, où Stone a habité de longues périodes chez des militants anarchistes et antifascistes, la gauche parlementaire a mitraillé le gouvernement de questions. Savait-il ? Stone a-t-il enfreint la loi ? La police cautionnait-elle ? Le gouvernement refuse de répondre aux parlementaires.

Le 26 janvier 2011, le quotidien britannique The Guardian révèle, sans être démenti, le contenu d'une réunion à huis clos au Bundestag. Le chef de la police fédérale, Jörg Zierke, affirme que Stone a été invité en Allemagne pour infiltrer le mouvement antifasciste. Il a ainsi travaillé sous contrat pour trois länder, lors de cinq visites entre 2004 et 2009. L'agent anglais a commis au moins deux délits, dont un incendie volontaire, mais les poursuites ont été abandonnées. "La police ne peut s'attaquer aux réseaux internationaux organisés et conspiratifs qu'en agissant de manière internationale et conspirative", justifie le chef de la police allemande.

En Irlande, un responsable travailliste a demandé cinq fois au ministre de la Justice de clarifier les activités de l'agent sur le territoire. Stone est soupçonné de s'être attaqué, avec d'autres militants, à des policiers irlandais pendant un sommet de l'UE à Dublin.

En Islande enfin, le ministre de l'Intérieur a ouvert une enquête. Stone aurait mis en relation des militants et leur aurait enseigné des techniques de résistance non violente et de blocage des routes. Partout, l'affaire déclenche des débats parlementaires, remet en cause des enquêtes policières ou provoque de nouveaux procès. Sauf en France. Pourtant, en 2009, Stone s'est rendu à Strasbourg dans trois réunions préparatoires du contre-sommet de l'Otan. Nul ne se demande si là-bas, comme dans d'autres villes d'Europe, l'infiltré anglais a encouragé des violences.

Camille Polloni

*le prénom a été modifié





mercredi 7 mars 2012

Tarnac: les documents inédits des services






Article publié sur mediapart.fr le 6/03/12 par Louise Fessard


Dans un livre-récit Tarnac, Magasin général (éditions Calmann-Lévy), le journaliste David Dufresne déconstruit l'affaire de Tarnac et décrit ce qu'elle révèle des jeux policiers et politiques. Le 11 novembre 2008, au petit matin, quelque 150 policiers débarquent à Tarnac, petit village de Corrèze. Dix personnes sont mises en examen pour association de malfaiteurs terroristes. Elles sont accusées d'avoir saboté plusieurs lignes à grande vitesse (LGV) entre octobre et novembre 2008.

Dans la matinée, alors que les perquisitions sont encore en cours, la ministre de l'intérieur de l'époque, Michel-Alliot Marie, convoque la presse place Beauvau et s'empresse de saluer devant les micros une « opération réussie ». Trois ans et demi plus tard, l'enquête judiciaire patine toujours.

Bien en amont de cette opération de novembre 2008, le groupe de Tarnac faisait l'objet d'une surveillance policière rapprochée. Mediapart publie aujourd'hui trois documents internes des services de renseignements tirés du livre Tarnac, Magasin général. Ils montrent comment un service policier en sursis, celui des RG, a cru trouver sa planche de salut dans la lutte contre la menace anarcho-autonome. Et comment cette nouvelle expertise a rencontré l'obsession d'une ministre de l'intérieur, Michèle Alliot-Marie, persuadée de la résurgence de la violence d'ultragauche organisée au niveau international.

Lire pages suivantes ces documents internes

Rapport des renseignements généraux. « Du conflit anti-CPE à la constitution d'un réseau pré-terroriste international : regards sur l'ultragauche française et européenne ».

Le titre de ce rapport des renseignements généraux, apparemment bouclé en juin 2008, donc juste avant leur disparition (il n'est pas daté), est éloquent. Dans un glissement explicite, les policiers établissent un continuum entre le mouvement contre le Contrat première embauche (CPE) « qui aura permis à l'extrême gauche d'étendre son influence et de capter une nouvelle génération d'activistes désinhibés quant au recours à la violence » et l'émergence « d'une situation pré-terroriste ».

Les policiers mettent en garde sur les dégradations, occupations et incidents attribués à cette utltragauche : « Ces faits et comportements observés sur notre territoire sont similaires à ceux recensés à la fin des années 1970 et qui avaient été précurseurs de la constitution du groupe Action directe, lui-même pour partie issu de la mouvance autonome. » Sont directement visés les jeunes gens de Tarnac et leur « groupe informel d'activistes d'ultragauche de type autonome entretenant des liens avec la mouvance extrémiste internationale » auquel le rapport consacre trois pages.

Dans cette pensée policière, leurs points de chute en province, dont la ferme du Goutailloux à Tarnac, deviennent des «bases logistiques arrières» et leurs contacts «une ébauche de réseau européen». «Partisans de la subversion, ils projettent de commettre des actions violentes en Europe», notent, de façon très affirmative, les RG.

Pour David Dufresne, qui révèle dans son livre une partie de ce document d'une trentaine de pages (publié ici en intégralité sauf pour trois pages, manquantes), c'est «la matrice de l'affaire de Tarnac» par ce qu'il révèle de la pensée policière.


Rapport RG 2008 Tarnac, Magasin General



Note des RG parisiens. « Mouvance contestataire ».

Pour ne pas être en reste auprès de la ministre de l'intérieur, les renseignements généraux de la préfecture de police de Paris (RGPP) ont également produit leur note sur « la mouvance contestataire », transmise « au cab min (cabinet du ministre) à sa demande ». Très succincte et datée du 11 juin 2008, celle-ci liste les lieux fréquentés par Julien Coupat, à Paris, Montreuil et en Corrèze. On retrouve les même tournures policières : tel bâtiment est ainsi suspecté d'abriter « une cellule conspirative visant à s'attaquer à des flux industriels (sans plus de précision) ».

Les policiers semblent disposer d'un informateur soit directement au sein du groupe, soit dans des cercles plus larges. «Il serait utile d'activer notre contact au sein de ce groupe», notent les RGPP.


DRPP Juin 2008 Tarnac, Magasin General


Extrait du manuel de stage de la section opérationnelle de recherches spécialisées de la direction centrale des renseignements généraux (DCRG) : « Aide technique à la surveillance et à la pose des balises ».

D'après ce manuel, qui date du milieu des années 2000, la pose d'une balise GPS sur une voiture ne semble pas une mince affaire. Cette balise permettra ensuite de faciliter une filature ponctuelle, ou de reconstituer sur une longue période les déplacements d'un véhicule.

Dans l'affaire de Tarnac, les services de la sous-direction antiterroristes ont nié avoir utilisé un tel dispositif GPS sur la voiture de Julien Coupat. « La Sdat n’a pas été amenée à faire usage de dispositif "GPS" sous le véhicule Mercedes (…) les 7 et 8 novembre 2008 », dément Eric Voulleminot, patron de la Sdat dans un courrier du 26 juillet 2011 au juge d'instruction.

Mais une balise aurait très bien pu être posée par la DCRI, dont plusieurs agents suivaient également, cette nuit-là, la Mercedes de Julien Coupat, Dans le livre Tarnac, Magasin général, Joël Bouchité, ex-patron des RG, reconnaît d'ailleurs l'usage d'une balise sur une voiture de Julien Coupat lors de surveillances antérieures. Ce qui pose un problème majeur.

« Si le PV de filature s'appuie sur une balise qui n'existe pas "légalement", c'est toute la filature qui pourrait s'écrouler, note David Dufresne. Et donc, une partie essentielle de l'accusation. »


Manuel Filature Tarnac, Magasin General





VOIR AUSSI :
Tarnac: intérêts policiers, obsessions politiques, le récit d'un scandale paru le même jour sur mediapart.fr



dimanche 4 mars 2012

« Tous les forgerons doivent-ils s’attendre à une descente de la cellule anti-terroriste ? »





Pour mémoire : un forgeron "suspecté d'être proche (sic) de membres du groupe-de-Tarnac" a été arrêté le 23 février 2012... et relâché le 24 février "sans mise en examen".


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Affaire de Tarnac : l'indignation du sculpteur interpellé en Normandie 

Ils étaient soupçonnés de terrorisme. J. et son fils racontent l’intervention des policiers. 

Ancien militant libertaire, ancien syndicaliste CGT, accusé à tort de trafic d’armes en 1970, ce qui lui a valu huit mois de prison à la Santé… J. en a vu d’autres. Mais qu’on le prenne, lui ou son fils, pour l’un des terroristes qui a saboté des lignes de TGV en 2008, il ne le supporte pas. C’est pourtant chez lui, à Roncherolles-sur-le-Vivier, que les policiers de la Sdat (Sous-direction de la lutte anti-terroriste) ont débarqué le jeudi 23 février (Paris-Normandie du 24 février). « Je veux que les choses soient claires. Je n’ai rien à voir avec cette affaire ! », martèle-t-il avant de raconter l’intervention policière.« Il était 8 h du matin et j’étais au lit, poursuit le sculpteur âgé de 86 ans. J’ai entendu mon chien aboyer. Je suis sorti en pyjama et j’ai vu une vingtaine de policiers accompagnés d’un juge d’instruction. Ils ont demandé après mon fils. Il venait de se lever. Ils l’ont menotté et l’ont emmené ».J. ne comprend pas. « J’ai demandé ce qui se passait. On m’a répondu que c’était pour l’affaire de Tarnac ». Lorsqu’il était étudiant, son fils a été co-locataire de l’un des membres du « groupe de Tarnac », qui sont tous en liberté aujourd’hui. Cette ancienne proximité et le fait qu’il ait une formation de ferronnier auraient amené les policiers à le soupçonner d’avoir fabriqué les crochets utilisés pour le sabotage.« N’importe quel homme qui sait souder pourrait fabriquer ces crochets », assure le fils, qui a été libéré après 35 h de garde à vue dans les locaux de la Sdat. Son père, qui travaille le métal, a d’ailleurs été interrogé pendant deux heures chez lui. « Parce que ces objets sont fabriqués avec des fers à béton soudés, ils m’ont soupçonné aussi », s’indigne J. . Les policiers ont d’ailleurs perquisitionné sa maison et son atelier pendant 7 heures. « Tous les forgerons de France doivent-ils s’attendre à une descente de la cellule anti-terroriste ? », ironise sa femme, qui déplore l’état dans lequel les policiers ont laissé les chambres de ses deux fils.« Ils connaissaient mon existence depuis longtemps, ajoute le fils. Ils ont justifié leur intervention en prétendant qu’ils avaient eu de nouvelles infos ».Aujourd’hui, la famille s’étonne surtout que les policiers aient déployé « des moyens aussi importants à partir d’indices aussi légers ».(...) 

Gilles Lamy

vendredi 2 mars 2012

"Tarnac, au bazar des libertés publiques"





Note d'Ariane Chemin parue dans Le Monde des Livres du 1er mars 2012 sur le livre de David Dufresne "Tarnac, magasin général"

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Tarnac, au bazar des libertés publiques

Ce n'est pas vraiment un reportage sur le groupe de Tarnac ; pas non plus un "document", comme l'édition appelle ces livres ceints de bandeaux rouge sang et de mots tapageurs : "révélations sur", "la face cachée de"... Ecrit à la première personne, épais de courriels, de notices, de pièces judiciaires qui, au fil des pages, surgissent dans un petit théâtre humain comme autant de didascalies, Tarnac, magasin général, ne ressemble à rien de connu. Le journaliste David Dufresne a volé son titre à l'enseigne d'une épicerie communautaire de Corrèze, reprise en 2005 par des jeunes gens venus de la ville. Un bazar où chacun a pu trouver, par la suite et au détail, en gros ou demi-gros, un fantasme sécuritaire ou une utopie libertaire. 

En 2005, une petite bande inclassable (mi-situ, mi-autonome ? - intello en tout cas) investit un village limousin perché sur le plateau de Millevaches, haut lieu des maquis rouges. Dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008, des caténaires de lignes TGV sont mystérieusement sabotées. Quatre jours plus tard, la police antiterroriste débarque dans la ferme, pas mécontente de rejouer l'assaut mené contre Action directe vingt ans plus tôt. Dix personnes sont mises en examen. Le dernier libéré, en mai 2009, se nomme Julien Coupat : le chef clandestin des activistes de Tarnac, selon la police. De nombreuses incohérences, notamment dans le procès-verbal de surveillance de la fameuse soirée, sont venues entacher l'enquête. Mais demeure "le même sourire de Claire Chazal pour accuser (en 2008) ou disculper (en 2009)", soupire l'auteur.

 David Dufresne est un reporter "tendance gonzo" : pour déjouer les prismes et faire tomber ses oeillères, il fouille les archives, pratique les digressions et revendique sa subjectivité. Ce quadragénaire nourri à l'école des fanzines, avant d'écrire pour Libération et Mediapart, raffole des tangentes et n'a pas, d'ordinaire, la "religion du PV" (procès-verbal), comme on dit dans la presse. Mais rien n'est à bannir quand il s'agit de déconstruire les montages policiers. "Du même auteur", on trouve des ouvrages aux titres évocateurs, comme ce Maintien de l'ordre (Hachette, 2007) écrit après le mouvement anti-CPE et repéré par la police - jolie mise en abyme - dans la bibliothèque de Julien Coupat. Dufresne a aujourd'hui quitté la France et la presse. Et son livre a des allures de testament.

Le journaliste croque merveilleusement premiers rôles et figurants du drame qui se noue : le châtelain de Tarnac (Yves de Kerdrel, éditorialiste au Figaro), le localier blasé, le barbouze et les filocheurs, le procureur Jean-Claude Marin et ses aphorismes, le criminologue Alain Bauer, acheteur compulsif de L'Insurrection qui vient (La Fabrique, 2007), cet essai signé "Comité invisible" et attribué par la police à "l'idéologue" Coupat. Derrière le discours fabriqué que lui servent de hauts fonctionnaires virils, aiguillonnés par la ministre de l'intérieur Michèle Alliot-Marie, Dufresne saisit vite que l'affaire de Tarnac doit beaucoup au mariage douloureux des RG et de la DST au sein de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), en cette année 2008. Tarnac "devait être le prototype de la fusion, un exercice avant l'heure, taille réelle et grandeur nature, entre Paris et Corrèze, police et pandores".

Sévère avec ses pairs, l'investigateur n'en fait pas moins l'examen de ses propres pratiques. "Comment convaincre quelqu'un de vous faire confiance quand il a beaucoup à perdre ?", réfléchit l'enquêteur en approchant l'une des "épicières" de Tarnac. Il explore cette zone grise où, pour séduire de futures sources, bonnes manières et mauvaise conscience s'emmêlent. Dufresne ne cherche pas à masquer ses sympathies. Mais il interroge les pactes implicites, parfois un peu coupables, qu'il passe avec les uns ou les autres, flics compris. 

Ces derniers lui ont raconté une bonne blague qui circule dans leurs couloirs : "Le terrorisme, il y a plus de gens qui en vivent que de gens qui en meurent." Vingt fonctionnaires et dix voitures suivaient le seul "individu" Coupat lors de la nuit du "sabotage". Pas étonnant si le dossier judiciaire compte aujourd'hui trente-deux tomes - et l'instruction n'est pas close. S'y côtoient inventaires de scellés, retranscriptions de chats en italien, réquisitions auprès d'opérateurs téléphoniques, photos, listings informatiques, croquis, demandes d'actes en tout genre, dont Dufresne, qui en a eu copie, fait aussi la matière de son livre. 

Dangereuse lorsqu'elle est expérimentée par les enquêteurs, la pratique du fragment fait oeuvre, ici, grâce à cette esthétique du collage. Cote D 1106, sous-cote D 145... L'auteur dévoile une poétique du PV, avec ses participes présents, ses fautes d'orthographe, son "nous" qui cache les "je", ses adverbes hors d'usage ("pédestrement")... Quand tant de fait-diversiers, dans la presse, parlent, dans un mimétisme inconscient, d'"individus quittant leur domicile pour leur véhicule", lui leur donne chair avec ses mots et sa belle écriture. Comme Houellebecq raconte l'inanité du monde postmoderne à travers les notices et autres catalogues de VPC, Dufresne exploite la phraséologie de ces milliers d'interrogatoires secs et cliniques pour dire la part d'absurde qui vient parfois s'engouffrer dans un fait divers.

Ariane Chemin

jeudi 1 mars 2012

"Tarnac, magasin général"






"Bonnes feuilles" trouvées sur le site du Monde le 1er mars 2012.

[Nous avions annoncé la parution du livre le 22 décembre 2011]

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Gabrielle H., "épicière" à Tarnac"

Au café, Gabrielle avait posé les questions d'usage et les conditions qui vont avec - pourquoi s'intéresser à cette affaire, dans quel but, pour dire quoi, à qui ? Tout était sujet à discussion : quand je disais "mis en examen" par respect du droit, elle rétorquait "inculpés" par souci de véracité. Je lui déballais mon discours, le même que celui que j'avais servi à tous ses amis, à Benjamin Rosoux, à Mathieu Burnel, à d'autres, un discours auquel je croyais et auquel je crois toujours, après trois ans d'enquête : certains parmi les dix inculpés ont peut-être fait ce que les flics leur reprochent, d'autres auraient voulu le faire, et d'autres n'ont rien fait. Dans tous les cas, je me foutais de savoir qui avait fait quoi, ou non. Dans tous les cas, tous étaient défendables. Dans tous les cas, quelque chose avait ripé dans la France sarkozyenne de la fin des années 2000 et mon seul but était d'essayer de comprendre qui, quoi et comment ; en parlant avec eux, qui avaient leurs raisons, et avec les agents de l'Etat, qui avait ses raisons. Ce quelque chose, c'était la conjonction du politique, du renseignement, de l'antiterrorisme, de la justice et des journalistes. De la violence et de la radicalité, aussi. Le défendable, c'était le simple questionnement :Où s'arrête le terrorisme ?"

 Pages 22-23.

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"Sportster", flic antiterroriste

 "Sportster", c'était le nom de code de l'agent de la Direction centrale du renseignement intérieur. Sportster, du nom du modèle de ma moto, la plus petite des Harley, orange, vieille d'une dizaine d'années. Avec l'intermédiaire qui nous avait mis en contact, toute la panoplie y passait quand il s'agissait de se donner rendez-vous : "J'ai besoin du manuel, où est la garagiste ? Faudrait causer mécanique" - ce genre de coquetteries.

L'intermédiaire était également un poulet, mais d'un tout autre service. Nos petites manies l'amusaient beaucoup. Sportster, aussi, semblait amusée par l'affaire. Dans le service, on était excités, disait-elle. Coupat et les autres, ça nous changeait des islamos, c'était passionnant.

La première rencontre se déroula dans un restaurant, au centre de Paris. Je ne saurai jamais si ses précautions étaient réellement utiles, pour elle, pour moi ; ou si elles faisaient partie du jeu, d'espion à journaliste ; de l'esbroufe, d'informatrice à fouineur (...). En chemin, j'avais croisé notre connaissance commune qui m'attendait... probablement, en éclaireur. Le film pouvait démarrer (...).

- On se tutoie, lâcha d'entrée Sportster. Ça ira plus vite.
- Si tu veux.
- Alors... tu veux savoir quoi ?

Sa façon de parler d'eux, quelques détails, cette douce et étrange fascination du chasseur pour sa proie, ça ne trompait pas. Sportster avait bien fait partie de l'équipe qui avait filoché la bande "de Tarnac". Au début, se rappelait Sportster, les gars de son service ne comprenaient pas pourquoi certains de la bande, dont Julien Coupat, accostaient les gens dans la rue, en leur empruntant leur téléphone. On se disait, merde, il a du fric, à quoi il joue ? Pourquoi il emmerde les gens comme ça ? Et puis, on a compris. C'était sa façon de ne pas laisser de trace. On a trouvé ça génial.

Ce que Sportster cachait, un de ses chefs me le racontera plus tard. Quand les agents de la DCRI ont saisi le manège, ils ont fait comme Coupat. Ils ont accosté les accostés, exhibant leur carte tricolore. Un jour, en province, ils sont tombés sur une femme particulièrement coopérante : elle était magistrate. Elle leur a donné le numéro que Coupat avait composé depuis son propre téléphone.

Ça devait lui venir de là, à Sportster, sa méfiance pour les portables (...). Tu comprends, c'est emmerdant, on peut se faire piéger par les triangulaires des antennes. Savoir que je suis là, que tu es là, qu'on est ensemble. Et je risque gros, très gros, en te parlant." 

Pages 45-46. 
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Julien Coupat, principal accusé"

Le jeune homme était attablé à la droite du comptoir. Il avait le visage jovial ; et l'air juvénile. Il était mieux qu'à la télé, comme on dit ; mieux que sur les deux ou trois photos qui avaient fuité, choisies parce qu'elles lui donnaient un air dur et fermé, un air de directeur d'entreprise terroriste ; un air raccord avec l'image qu'on pouvait se faire d'un patron en sabotages. Piochées dans le stock des clichés de filatures, ces photos avaient fait leur chemin et contribué à fabriquer la fable, de journaux télé en "unes" de presse. "Un Coupat idéal", avait titré Libération.

C'était un jour d'été, dans un restaurant de la banlieue Est. Je revenais d'un mois dans le Colorado (...). Face à Coupat, je ne savais plus quelle heure il était, l'avion venait d'atterrir, ni si le brouilly se dégustait frais ou à température ambiante (...). J'avais du mal à comprendre où Julien Coupat puisait sa force, lui qui venait de passer six mois à la Santé et semblait si peu affecté par l'univers carcéral.

Avant d'entamer la discussion, il me posa la question de confiance. D'où je venais, ma formation politique, mon parcours, Coupat attendait que je décline tout cela, l'insistance en suspens signifiait : ai-je affaire à un camarade ? C'était habile, l'interpellation mettait d'emblée la discussion sur le seul registre qui vaille, celui de la sincérité ; et ça contrecarrait le rapport marchand qu'induit le journalisme.

Ses interrogations étaient légitimes, et pas seulement parce qu'il jouait gros, que je pouvais trahir sa pensée, la travestir, ou simplement mal la restituer ; et un mot, un seul, pouvait se retrouver dans la procédure - tant d'interviews plus ou moins maladroites de tel ou tel proche y figuraient déjà.

Sur ce point, Benjamin Rosoux avait un jour trouvé une bonne expression. Il disait qu'avec moi, c'était la garde à vue permanente. La blague était féroce, elle avait du vrai, et tout cela devenait épuisant. Les interrogations de Coupat étaient également légitimes car le journaliste n'est nulle part, comme il le répétait, et que, lui, il était au coeur d'une affaire d'Etat, avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, une épée qui disait : vingt années de prison. Alors, Julien Coupat avait bien le droit de s'amuser à son tour. L'art du renversement était probablement celui qu'il maîtrisait le mieux. (...)

Au bout de quelques secondes, il avait bien fallu trouver quelque chose.

- Ma formation ? je dis. Le punk.

C'était la stricte vérité.

Coupat sourit. Ça semblait suffire, pour un début ; et nous voilà en train de deviser sur le genre. Le punk était-il le mensonge génial d'un manager génial, Malcolm MacLaren, qui avait pris les Sex Pistols et les avait déguisés de toute la pensée situationniste ; ou le punk était-il l'horizon politique indépassable clamé par L'insurrection qui vient dès sa première page : ""Le futur n'a plus d'avenir" est la sagesse d'une époque qui en est arrivée, sous ses airs d'extrême normalité, au niveau de conscience des premiers punks" ? (...)

La suite du déjeuner était écrite : il ne saurait être question des péripéties de l'affaire. Julien Coupat s'en tiendrait à sa ligne de conduite, qu'il avait exprimée par voie de presse - il n'y a pas à clamer son innocence dans un monde qui a perdu la sienne - ; je m'en tenais à la mienne : sa culpabilité supposée était l'affaire des flics et des juges ; elle n'était pas mon propos. Là où nous pouvions nous retrouver, c'était dans l'arrière-boutique de l'affaire, dans ce magasin général de l'antiterrorisme à grand spectacle.

Sa manière de déjouer la situation ne répondait pas à un quelconque intérêt, ni au moindre calcul : Coupat semblait tout simplement avoir placé la dialectique au coeur même de son souffle. Le jeune homme, trente-cinq ans, était exténuant ; et sa joie à l'être rendait la rencontre plus éprouvante encore.

Nous nous sommes mis alors à discuter du livre que je préparais. Coupat proposa rapidement un pacte, que lui et les siens relisent le manuscrit, il disait qu'il fallait miser sur l'intelligence collective, le livre ne pourrait en être que meilleur, qu'il n'était pas question de censure, que je resterais libre. Il disait, et ça se comprenait, que ni lui ni ses amis ne voulaient cautionner un ouvrage dont ils ne savaient rien. Ce droit de regard était à prendre ou à laisser. Cette demande était une réponse symétrique à la mise à nu que chacun de ses amis avait subie, et lui maintenant face à moi, dès qu'ils avaient eu à croiser un journaliste.

Je lui répondais que, bien sûr, une telle relecture serait une belle expérience, riche et dense (...) ; mais je lui rétorquais que non, ce pacte était inconcevable ; je m'arc-boutais sur mon travail solitaire, ma liberté de franc-tireur, il riait, et moi aussi, il disait que c'était terriblement années 1980 mon truc d'auteur - c'était en partie de ma faute (...), je lui avais parlé de décembre 1986, de Malik Oussekine, des voltigeurs aux trousses, et de ce moment initiatique, qui m'avait donné le goût d'aller sonder les flics et de pénétrer régulièrement les lignes ennemies, au risque d'en revenir parfois perturbé.

Coupat avait lu mon précédent bouquin, Maintien de l'ordre ; la SDAT l'avait saisi dans sa chambre à Tarnac. Il savait. Aussi la discussion bifurqua-t-elle sur les doctrines et stratégies policières. Le sujet, inépuisable, constituait un excellent dérivatif. Le petit brouilly faisait également son effet, à moins que ce soit son flot de paroles, ou le décalage horaire, ou tout cela à la fois.

Ça serait quand même plus simple pour tout le monde si je n'avais pas ce bouquin à écrire.

On se quitta là-dessus, notre impossibilité à nous causer réellement, et sur une franche poignée de main. L'un et l'autre, nous savions déjà, probablement, qu'aucun pacte ne se réaliserait, même si on se promettait d'en chercher un. On ne s'est jamais revus." 

Pages 360-363. 



TARNAC, MAGASIN GÉNÉRAL de David Dufresne. 
Calmann-Lévy, 500 p., 20 € (en librairie le 7 mars).

[Paris] Procès antiterroriste pour 6 camarades du 14 au 22 mai 2012







Ivan, Bruno et Damien sont arrêtés en janvier 2008 alors qu’ils se rendent à une manif devant le centre de rétention de Vincennes avec des fumigènes artisanaux et des crève-pneus, qui deviennent pour la justice et les médias une “bombe à clous”. Ivan et Bruno sont alors placés en détention préventive et Damien sous contrôle judiciaire.


Quelques jours plus tard, Inès (*Isa) et Franck (*Farid) sont arrêtés lors d’un contrôle des douanes à Vierzon en possession de manuels expliquant des techniques de sabotage, du plan d’une prison pour mineurs et de chlorate. L’antiterrorisme se saisit de l’affaire. Les flics prétendent que l’ADN d’Isa correspondrait à une des 5 traces ADN présentes dans un sac contenant des bouteilles d’essence, retrouvé sous une dépanneuse de flics pendant l’entre-deux-tours des présidentielles de 2007.

Rapidement, ces deux enquêtes sont jointes en un seul dossier, instruit par les mêmes juges antiterroristes. La police ratisse alors dans l’entourage des personnes arrêtées et des personnes fichées “anarcho-autonomes” pour tenter de trouver qui se cacherait derrière les ADN manquants. Javier (*Juan), le frère d’Inès (*Isa), puis Damien (qui avait été arrêté avec Ivan et Bruno) sont mis en prison pendant plusieurs mois car leurs profils ADN correspondraient aussi aux traces retrouvées sous la dépanneuse. Par ailleurs, en juin 2010, Javier (*Juan) a, en plus, été mis en examen pour une série de sabotages par incendie sur des armoires électriques de signalisation SNCF qui ont paralysé une partie du trafic ferroviaire en 2006 pendant le mouvement « CPE ». Son ADN aurait été retrouvé sur le lieu d’une tentative de sabotage.

Inès (*Isa), Javier (*Juan), Damien, Ivan, Franck (*Farid) et Bruno ont chacun fait entre 5 et 13 mois de détention préventive dans le cadre de cette procédure. Et ils restent sous contrôle judiciaire jusqu’au procès en correctionnelle.

Mauvaises intentions, le 29 février 2012.

[Pour mémoire sur la propagande journalistico-policière: un son du 29 janvier 2008 diffusé sur RTL]

vendredi 24 février 2012

Nouvelle arrestation dans l'affaire de Tarnac





[Mise à jour du 24 février à 22h : la personne arrêtée jeudi 23 février a été...relâchée vendredi 24 février "sans mise en examen", mais "pourrait être reconvoquée ultérieurement"...]
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Une première dépêche (non signée) publiée le 23 février à 23H38 sur le site... des "Inrockuptibles" [on peut encore la retrouver en l'état ici]


Nouvelle arrestation dans l’affaire de Tarnac

Un homme a été arrêté jeudi matin [le 23 février] à Rouen et placé en garde à vue dans les locaux de la sous-direction antiterroriste à Levallois-Perret dans le cadre de l’affaire « de Tarnac ». Il serait soupçonné d’avoir participé à la fabrication des crochets placés sur les caténaires SNCF en novembre 2008 pour interrompre la circulation des trains.

Le juge d’instruction, Thierry Fragnoli, s’est rendu à Rouen avec des policiers de la Sdat pour interpeller cet homme. Dans cette affaire, dix personnes ont été mises en examen depuis novembre 2008 pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.
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La brève est mise à jour le 24 février à 12h45, signée par "l'incontournable" Camille Polloni, avec "la réaction de l'un des mis en examen".

Nouvelle arrestation dans l’affaire de Tarnac

Un homme d'une trentaine d'années a été arrêté jeudi matin à Rouen et placé en garde à vue dans les locaux de la sous-direction antiterroriste à Levallois-Perret dans le cadre de l'affaire "de Tarnac".
Proche de certains mis en examen, il est soupçonné d'avoir participé à la fabrication des crochets placés sur les caténaires SNCF en novembre 2008 pour interrompre la circulation des trains.
Ses compétences de forgeron et ses déplacements seraient au coeur des préoccupations des enquêteurs, d'après une source judiciaire. Il aurait déjà été interrogé trois fois.
Le juge d'instruction, Thierry Fragnoli, s'est rendu à Rouen avec des policiers de la Sdat pour interpeller cet homme au domicile de ses parents et conduire une perquisition dans l'atelier de son père, forgeron de métier. La garde à vue, qui a commencé à 7h45 jeudi matin, a été prolongée vendredi matin. Sous le régime de l'antiterrorisme, elle peut durer jusqu'à quatre jours.
Contacté par Les Inrocks, l'un des mis en examen tourne en dérision cette nouvelle arrestation :
"Pendant longtemps, nous soupçonnions le juge Fragnoli d'instruire uniquement à charge et d'avoir un grief personnel à notre encontre. Au vu du pétard mouillé qu'est cette nouvelle arrestation, on tend désormais à penser qu'il travaille pour la défense en s'acharnant à ridiculiser son enquête. Nous sommes évidemment prêts à parier une bouteille de whisky que notre ami sera relâché sans aucune charge d'ici quelques jours."
Dans cette affaire, dix personnes ont été mises en examen depuis novembre 2008 pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.
Une première vague d'arrestations a lieu le 11 novembre 2008 en Corrèze, à Paris et à Rouen. Vingt personnes sont alors arrêtées, neuf mises en examen et certaines placées en détention provisoire, comme Julien Coupat, soupçonné de "diriger" l'association de malfaiteurs. Il est libéré six mois plus tard. Un an plus tard, un dixième homme est mis en examen. Pendant les trois ans d'instruction, d'autres personnes ont été arrêtées sans être poursuivies par la suite.
Les avocats des mis en examen contestent une grande partie des éléments retenus contre leurs clients et ont souligné à de nombreuses reprises les incohérences du dossier. Ils ont porté plainte en février dernier pour faux et usage de faux, subornation de témoins et interceptions téléphoniques illégales. Une information judiciaire a a été ouverte à Nanterre et une autre à Limoges.