Paru le 21 mai 2009 sur www.politis.fr,
par Bernard Langlois
Coups de filet
Et d’abord du tout frais : on annonçait ce lundi midi que trois « proches » de Julien Coupat avaient été arrêtés dans la région rouennaise et placés en garde à vue. À 14 heures, alors que je m’attaque à la rédaction de ce présent bloc-notes, un coup de fil m’apprend qu’un autre coup de filet a pêché, à Forcalquier, quatre autres suspects de la « mouvance », dont Johanna et François Bouchardeau. Direction Marseille pour interrogatoire à l’hôtel de police (« l’Évêché », comme on continue de dire là-bas, eu égard aux anciennes fonctions de cet édifice qui surplombe le Vieux Port, et où l’on distribue maintenant plus souvent des torgnoles que des bénédictions). En matière de terrorisme, puisque c’est dans cette catégorie qu’on a classé l’affaire qui nous occupe, tous ces braves gens peuvent rester en garde à vue jusqu’à 96 heures, une paille !
Ainsi, le pouvoir judiciaire continue de s’acharner sur des citoyens auxquels, jusqu’à preuve du contraire, on ne peut reprocher que des faits qui relèvent de la liberté de penser et de manifester. Voyons voir : je ne connais pas les embastillés de la région rouennaise, mais je connais bien ceux de Forcalquier.
François Bouchardeau fut longtemps (depuis l’adolescence, dans les années 1970) un des piliers de la célèbre communauté de Longo Maï, dont le centre est situé sur la colline Zinzine, proche de Limans, à quelques kilomètres de Forcalquier. Il l’a quittée depuis quelques années pour prendre la direction de HB éditions, fondée par sa mère, l’ancienne ministre de l’Environnement Huguette Bouchardeau, dont il a installé le siège à Forcalquier même. Sa femme, Johanna, et leurs deux enfants vivent toujours dans la communauté, où l’on ne se borne pas à cultiver les terres arides de la Haute-Provence : depuis toujours, né de l’éruption de Mai 68, le projet longomaïen est politique, et prône et pratique (dans la vie quotidienne, les rapports de production et d’échanges, par l’exemple vivant, l’essaimage, la transmission, la propagande écrite et orale – Radio Zinzine [1] est une station de qualité qui rayonne sur la région – et tous autres moyens légaux et non-violents) un mode de vie et d’organisation sociale en rupture avec la société capitaliste.
Internationalisme, autogestion, solidarité, partage, tiers-mondisme : toutes ces choses, là, qui furent au cœur d’un idéal de gauche quand la gauche avait un idéal. Des gauchistes, quoi.
Solidarité
Le rapport avec les inculpés de Tarnac ? Dans la pratique, je l’ignore. Dans la vision du monde, le rejet de la société marchande, la recherche et la pratique d’un mode de vie différent, il est évident. Lorsque l’affaire de Tarnac a éclaté, souvenez-vous, j’avais du reste fait un parallèle entre les deux groupes [2].
C’est donc tout naturellement que s’est immédiatement posée la question de la solidarité entre Longo Maï et Julien Coupat et ses amis. Ou plutôt qu’elle s’est imposée d’elle-même : dans le mouvement de soutien aux inculpés qui s’est mis en place au plan national, nos Provençaux (interlopes, mais Provençaux quand même !) n’ont pas été les derniers à se mobiliser. Et les Bouchardeau en particulier, qui ont représenté Longo Maï dans les diverses réunions de coordination des comités de soutien [3], dont la dernière (à ma connaissance) se tenait à Limoges, avec des participants venus de toute la France et de Belgique. Dans le compte rendu informel qui m’en a été transmis, on peut lire ceci :
« Il est ressorti (du tour de table) quelques points communs :
– le caractère massif, spontané, “épidermique” de la réaction au 11 novembre, à l’origine de la formation des comités – hors organisations ;
– leur premier souci au départ : réunir de l’argent, participer à la défense des inculpés (du point de vue fric, les premières échéances de frais d’avocats, etc. ont été couvertes grâce à ces mobilisations, il y aura très probablement de nouveaux besoins d’ici à l’automne) ;
– deuxième préoccupation : faire de l’information, “déconstruire” l’antiterrorisme du point de vue idéologique, expliquer quelle est sa fonction et ce qu’il signifie ;
– puis chaque comité semble s’être confronté à la question de l’élargissement de la critique, soit la dénonciation de l’antiterrorisme comme moyen de gouvernement, pointe émergée d’un iceberg, et cela dans un contexte de conflictualité sociale montante.
Concrètement, cela s’est traduit par l’organisation de réunions publiques autour d’intervenants invités pour la circonstance, de projections de films, de “marchés du sabotage”, de discussions autour de L’insurrection qui vient, de manifestations ou encore d’autres interventions de formes plus originales : blocages de flux dans les galeries commerçantes, happenings musicaux sur des marchés… »
Bref, rien là-dedans de bien répréhensible qui puisse requérir les foudres de la loi, même antiterroriste.
Colère
Le compte rendu continuait avec des notations qui me paraissent intéressantes à souligner (ce sont les impressions personnelles du scripteur, telles qu’il les a ressenties au cours de la discussion) :
« Nous ne pouvons limiter notre mobilisation au seul terrain de l’antirépression. Il nous faut creuser ce qui nous a fait réagir dans l’affaire de Tarnac, et qui va bien au-delà de la seule peur d’être arrêtés à notre tour… Ce sentiment de devenirs à défendre, l’accueil chaleureux reçu au cours des diffusions de tracts dans les grandes manifs syndicales de janvier et mars l’a confirmé : ce n’était pas la peur de la répression qui motivait ces réactions, mais bien l’empathie, sinon la sympathie, pour “des jeunes qui se bagarrent”. D’ailleurs, à propos de ces grandes manifs, l’interprétation officielle a été : les gens descendent dans la rue parce qu’ils ont peur de l’avenir, etc. Pour y avoir été avec eux, nous savons que ce n’est pas vrai, il s’agit bien plus de colère que de peur. » Bien d’accord avec toi, François. Car, vous l’aviez deviné, ce CR de la réunion de Limoges était de Bouchardeau, à destination du comité de Forcalquier (lequel a organisé récemment une réunion de soutien aux « Neuf de Tarnac », en mairie de la ville et en présence du maire PS).
Mais qu’est-ce que c’est donc que ces terroristes en peau de lapin !
Sauces
On en est là, les amis. On le savait déjà pour ce qui concerne l’aide aux migrants clandestins (quoi qu’en dise le traître emblématique du gouvernement), mais c’est vrai en général pour toute forme de soutien à des militants en butte à la police et à la justice : la solidarité est désormais un délit. Peut-être même bien un crime ? Va savoir ! Terrorisme, ce mot bien fait pour paniquer le peuple, qu’on ne devrait employer qu’avec d’infinies précautions, est mis à toutes les sauces. On s’en parfume le battle-dress, on s’en gargarise le goitre, on alliot-marise toute la vie sociale. Bientôt, on ne sera plus dans ce qui est censé caractériser une démocratie, selon la formule bien connue : « Une société où, quand on sonne à votre porte à 6 heures du matin, c’est le laitier ! »
Pour François et Johanna et les deux jeunes enchristés avec eux, comme pour les gens de Rouen, et peut-être d’autres encore, ailleurs, ce matin ce n’était pas le laitier, mais la police judiciaire.
Europe
Ainsi – les sondages l’annoncent, et s’ils ne le faisaient pas, le pif, l’intuition, un minimum d’éveil à l’air du temps et d’écoutes sur la place publique s’en chargeraient – les élections européennes toutes proches maintenant devraient battre des records d’abstention. Accessoirement, elles risquent (en France) de tourner à la confusion d’un Parti solférinien à qui Bayrou (sur sa droite, oh, à peine !), Mélenchon + Besancenot (sur sa gauche, on s’y trouve vite), Cohn-Bendit au-dessus de sa tête (en suspension) contribuent de conserve à lui bouffer l’espace électoral. Alors que dans le camp majoritaire, où tout procède du chef, les quelques dissensions droitières (Villiers + chasseurs, Dupont-Aignan) ne pèsent pas bien lourd face à une propagande d’État tout au service du parti du Président.
Résultat : en pleine crise économique et alors que monte en puissance une politique répressive odieuse (voir plus haut, et voir aussi l’usage qui se répand d’armes « à létalité atténuée » (!) qui ont déjà éborgné quatre jeunes manifestants
– je vous renvoie à l’ami Olivier Bonnet–, voir encore les poursuites de syndicalistes ou les menaces sur les enseignants grévistes), c’est Sarkozy qui va apparaître comme le vainqueur de ces élections !
On rêve !
Milieu
Encore un peu de place pour vous signaler la parution d’un livre magnifique, tant dans le fond du propos que dans l’écriture, somptueuse : il s’agit d’un recueil d’essais divers (dont ces « notes du monde du milieu », qui donnent son titre au livre).Breyten Breytenbach, né blanc (« de la race des maîtres ») dans l’Afrique du Sud de l’Apartheid, s’est « rendu compte que [son] cœur était noir ». Sa vie fut alors une longue histoire d’exil, de lutte, de prison… Poète, romancier, peintre, Breytenbach s’est affranchi de ses racines – même après la chute du régime et la victoire de Mandela, il ne reviendra jamais vivre au pays – sans renier pour autant une africanité qu’il ressent de toutes ses fibres, et de l’île de Gorée, l’île des esclaves à quelques encablures de Dakar, où il dirige un Institut de recherche et d’accueil pour la démocratie, il jette sur le monde et ses crises le regard de l’homme aux cent vies qui constituent la sienne. Hors de toutes frontières, loin de tous drapeaux, hors temps, il vit désormais en compagnie des hommes de liberté, d’intelligence, de création, de marges, de toutes origines et de tout temps.
Dans « le monde du milieu. » Avec son ami Mahmoud Darwich, le grand poète palestinien disparu, à qui le livre est dédié.
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Notes
[1] Radio Zinzine Info, 04300 Limans, www.radiozinzine.org
et Longo maï, Révolte et utopie après 1968, vie et autogestion dans les coopératives européennes, Beatriz Graf, Thesis ars historica, 176 p. Écrire à : trixiegraf@yahoo.fr.
[2] Politis n° 1028, 24 novembre 2008
[3] Rappel : http://www.soutien11novembre.org, et pétition : http://ultragauche.wordpress.com.
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