lundi 23 août 2010

De Tarnac, contre le régime «de la peur»





Paru le 23/08/10 sur Indymédia Nantes et sur Médiapart.fr



Durant une semaine, cet été, à Tarnac, 200 personnes se sont réunies. De leur discussions a émergé, entre autres choses, le communiqué suivant.



Tarnac, été 2010

Il se lève et dit : « La contre-insurrection n'est pas
seulement la doctrine d'intervention des armées occidentales en Afghanistan,
c'est la nature même de tout gouvernement. La mise en circulation de tel ou tel
« élément de langage », l'urbanisme, la distraction organisée, les
fables de l'économie, tout provient de la crainte de perdre le contrôle des
populations. » Elle lui répond : « Chez nous, le gouvernement a tellement peur,
avec la crise, que les gens commencent à s'organiser par eux-mêmes, qu'il
contraint les chômeurs à faire des ateliers de réparation gratuite de vélos
dans la rue, à récupérer les objets usagés et à patrouiller avec la police. On
occupe le terrain préventivement. »


Quelques heures plus tard, une fournée de pain plus loin,
un autre : « Moi, ce qui m'étonne, depuis l'automne 2008, c'est qu'une telle
crise du capitalisme ait suscité à ce jour, hormis en Grèce, si peu de
mouvements. Il y a dix ans il y avait tout un mouvement
« antiglobalisation » qui attaquait le système alors que celui-ci se
portait plutôt bien, et maintenant que tout donne raison à ce mouvement, il n'y
a rien qui se lève, et si peu qui se tente. Que, dans ces moments, chacun se
cramponne à sa position sociale menacée est bien compréhensible, mais que
militants et activistes restent confortablement installés dans leur rôle social
minoritaire, qu'au lieu de s'interroger sur leur soudaine paralysie, ils
préfèrent considérer que tout leur donne raison et qu'ils n'ont qu'à continuer
à parfaire leur posture radicale sur les sites web spécialisés ou à siroter
leur bière à la terrasse des cafés branchés, voilà ce qui est proprement
hallucinant. »


Une autre encore :
« Il n'y a plus d'argent, il n'y a plus de travail. La seule chose à
faire, c'est de nous approprier les techniques et les moyens de survivre, et
non seulement de survivre, mais de vaincre. Bien sûr, il y a une police globale qui est payée pour
protéger cette immense tristesse qui a reçu le nom
d' « économie », et cette sorte de conspiration de la bêtise que
l'on appelle « capitalisme ». C'est évidemment une grande opération
sémantique que de nommer « terroristes » ceux qui ont encore le front
de se réunir internationalement pour chercher des réponses aux questions que
tout le monde se pose, mais isolément, chacun chez soi.


Comment ne pas se laisser affamer par les gouvernements?
Comment défaire l'engrenage policier mondial? On peut bien nous traiter en
terroristes, cela ne sert à rien. Il est évident qu'il n'y a pas de
« nous »; n'importe qui se retrouverait comme nous le faisons ces
jours-ci se poserait les mêmes questions et arriverait sans doute aux mêmes
réponses : il faut former partout non pas des assemblées constituantes pour
représenter le peuple, mais des assemblées locales pour arracher aux structures
et aux dispositifs de pouvoir tout ce qui rend la vie possible et qu'ils ont
capturé : les moyens matériels autant que l'aptitude à communiquer, et la capacité
à nous défendre aussi. Nos vies sont la matière première de leur pouvoir. Si
nous les reprenons, si nous cessons de demander la permission, si nous réglons
nos affaires par nous-mêmes, si nous nous organisons d'égal à égal pour rompre
les dépendances qui nous affligent, aucune lutte contre la folie régnante ne
pourra plus être ramenée à l'autogestion de la misère. »


Et celui-ci, là, devant, qui vient d'arriver : « Si l'on
regarde les cycles économiques en Occident depuis quarante ans, on se rend compte
que c'est une alternance de crises et de reprises, de crises toujours plus
fortes et de reprises toujours plus faibles. L'effondrement actuel n'est pas
circonstanciel, il est durable. » Et celle-ci qui dit, le dernier jour : « Il
faut qu'on fasse un communiqué pour dire à tous ceux dans le monde qui ne se
sont pas résignés à l'horizon du désastre, que nous nous sommes retrouvés, que
nous ne cédons pas à la peur, que les campagnes d'intimidation menées sous
couvert d'antiterrorisme échoueront finalement dans le grotesque, que le moment
est venu de quitter toute position défensive. »


C'est une étrange assemblée. Deux cents personnes, des
gens de partout, de partout en Europe et de plus loin encore. Difficile de dire
ce qui les réunit là, à Tarnac, pour cette semaine de travaux, de discussions
dans toutes les langues, et de fête; pour cette semaine de vie commune,
studieuse, enivrée, joyeuse. Il faut être un peu fou, éprouver une inexpiable
confiance dans l'avenir de la révolte ou se foutre complètement des manigances
policières pour décider d'aller se réunir là, dans un des lieux les plus
grillés de France et y deviser sérieusement sur les possibilités
révolutionnaires du présent. C'est donc ce que nous avons fait. Nous savons que
de nouvelles rafles se préparent dans ce que les services de renseignement et
les gens mal renseignés nomment « l'ultra-gauche ». On ne nous acculera ni à la
clandestinité, ni à la retraite. Nos raisons sont dans toutes les têtes, et nos
aspirations dans tous les coeurs.


Du fond de la grange, une voix commente : «Vous nous
réprimez, vous nous renforcez. Vous ne nous réprimez pas, nous nous renforçons.
Seigneurs de ce monde, vous êtes cuits! »