paru sur la tribune de Genève le 26.11.2009 - source: Bellaciao
Tarnac, la justice française fait peur Plus que les révélations éventées de Môssieur Pasqua , l’affaire de Tarnac risque de porter un coup sévère au gouvernement français. Rappelons les faits. L’an passé, la police lance un grand raid sur le petit village de Tarnac, en Haute-Corrèze. Là, vit un groupe d’anarchistes, bien accepté, en général, par la population locale. A Tarnac, on aime ceux qui résistent. D’ailleurs, durant l’Occupation, cette région a été marquée par de nombreux maquis de résistants. Et puis, l’un de ces anars y tient épicerie à une époque où la tendance est à la désertification rurale. Des fermes reprennent vie. Voilà qui rend cette présence nouvelle plutôt aimable pour les anciens.
Commando au milieu des chèvres corréziennes
La ministre de l’Intérieur de l’époque, Michèle Alliot-Marie, juste après cette gigantesque opération de commando au milieu des chèvres corréziennes, rameute les médias pour les mitrailler de propos alarmants. C’est ni plus ni moins, ni la bande à Baader du XXIème siècle qui vient d’être ainsi tuée dans l’œuf. Le groupe de Tarnac est l’aile marchante et explosive de l’ « ultragauche » qui a pour Bible un petit livre rédigé par un anonyme « Comité Invisible » et intitulé « l’Insurrection qui vient ». L’ouvrage en question se trouve en vente libre et n’est pas plus incendiaire que d’autres. Peu importe. C’est bon à placer en arrière-plan d’une prise de vue.
Le "Sésame, cogne-moi"
Pour Michèle Alliot-Marie, ce groupe de Tarnac serait responsable de la pose de fers à béton sur des lignes de TGV, occasionnant plusieurs pannes. D’emblée, à en croire le « Canard Enchaîné » de mercredi 25 novembre, un premier rapport de gendarmerie conclut que ces actes ne relèvent pas du mot magique - « terrorisme » - mais de « dégradations volontaires d’un bien public commises en réunion », soit une infraction mineure qui ne soulèvera pas l’indignation des foules, tout au plus une brève réprobation. Cela dit, comme nous le verrons, même ce moindre délit ne sera pas démontré par l’enquête. Cette incrimination ne fait pas le beurre médiatique de la ministre. Il faut absolument prononcer le terme qui « tilte » depuis un certain 11-Septembre : « terrorisme ». C’est le sésame pour ouvrir toutes les portes qui mènent à l’oppression d’Etat.
Un juge d’instruction souple d’échine traduira en jargon juridique la volonté ministérielle en mettant en examen – terme de nov-langue introduit par les socialistes français et qui signifie « inculpés » - les principaux protagonistes du groupe de Tarnac pour « association de malfaiteur, destructions et dégradations en relation avec une entreprise terroriste ». Du très lourd, donc ! Et voilà qui tombe bien, Michèle Alliot-Marie passe du ministère de l’Intérieur à celui de la Justice. Elle peut donc suivre le dossier de A jusqu’à Z.
Et ça coince !
Il reste maintenant pour la justice – qui en France n’est pas un pouvoir - à faire entrer les faits dans ce cadre ainsi fixé par le pouvoir politique. Et là, ça coince ; ça coince même de plus en plus. Pas la moindre preuve convaincante à se mettre sous la matraque. Des gilets pare-balles, des cartes et autres éléments de ce genre. Mais allez convaincre un jury de Cour d’assises avec de telles babioles ! Pour donner de la consistance à ce dossier vide, les policiers auraient donc recouru, selon les avocats du groupe de Tarnac, à « un florilège de manipulations ». Les défenseurs citent l’ un des rares témoins à charge qui affirment avoir subi les pressions des enquêteurs. Et qui, depuis, est devenu un témoin à décharge. Ils brandissent un procès-verbal qui serait antidaté et d’autres exemples d’une semblable gravité.
De deux choses l’une, soit les accusations des avocats sont avérées, soit ils manipulent les faits. Dans le premier cas, nous sommes placés devant un scandale d’Etat qui discrédite définitivement, non seulement la ministre mais tout le gouvernement et le président Sarkozy, héraut du prêche sécuritaire. La France serait l’une des rares démocraties à avoir fabriqué des coupables pour asseoir le discours politique de ses dirigeants. Dans le second cas, les avocats devraient subir les conséquences de leurs propos qu’ils ont prononcés devant les journalistes dans une salle de l’Assemblée nationale, ce qui leur a donné un poids symbolique tout particulier.
Il sera impossible d’en rester là.
Jean-Noël Cuénod tribune de Genève
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