Paru le 1er décembre 2009 sur le blog médias de Renaud Revel, journaleux à l'Express.
L’affaire des « inculpés de Tarnac » tourne depuis quelques jours au bras de fer entre les avocats des inculpés et l’institution judiciaire. Un an après l’interpellation et la mise en examen de neuf personnes dans l’affaire du sabotage de voies SNCF à Tarnac, (Corrèze), pendant la nuit du 7 au 8 novembre 2008, leurs conseils ont décidé de se muer en procureurs, convaincus que le dossier d’association de malfaiteurs à visée terroriste, instruit par le ministère de l’Intérieur et la justice, repose sur une reconstruction fantasmagorique des faits.
Disfonctionnement de la justice, instruction à charge, contradictions, omissions et affabulations de certains services de police et emballement médiatique…cette rocambolesque affaire risque de prendre un tour nouveau avec la convocation du fameux témoin sous X…Celui dont les confessions ont servi de socle à l’accusation, laquelle reste aiguillonnée par le Ministère de l’Intérieur où l’on a eu vite fait de transformer un groupe de jeunes gens en une prétendue «cellule invisible», pour reprendre le terme employé par Michèle Alliot-Marie au soir même de l’arrestation des premiers d’entre eux. Ce que Daniel Cohn-Bendit dénoncera bien plus tard, en évoquant une « construction idéologique du terrorisme».
Les médias auront joué un rôle moteur dans cette ténébreuse et curieuse affaire. Il faut en effet se souvenir que cet attentat a vu un certain nombre d’organes de presse, (Libération, TF1, France 2, Le Nouvel Obs…), enfourcher sans sourciller la thèse fabriquée, au soir même de ce 11 novembre, par la ministre de l’Intérieur. « L’ultra-gauche déraille », embraye alors Libé qui veut voir dans cet attentat une action coordonnée, la main d’un groupuscule structuré. Mieux, des « guérilleros du rail » comme L’Obs, qui n’y va pas avec le dos de la cueillere, l’écrit la même semaine.
Inconscience, précipitation, surenchère, ivresse des mots…Tandis que les chaînes évoquent la présence le long des voies d’un couple « aux aguets », la presse s’embarque dans un roman photo nourri par la place Beauvau, où Michèle Alliot-Marie déroule sa pelote et souffle sur les braises. Il faudra attendre plusieurs semaines avant que ces même journaux, bousculés par les arguments des avocats des inculpés, qui n’en peuvent plus devant un tel amoncellement de contre-vérités, commencent à opérer un léger virage. Changement de cap : des éléments à décharge prouvant la manipulation, trouvent un début d’écho dans leurs colonnes. « L’affaire déraille » résume même l’Obs, qui n’hésite pas à jouer du contre-pied à l’instar de nombreux journaux. Imperceptiblement et sans le dire, les médias opérent un virement de bord général, sans remords ni explications.
Ce qui semblait vrai hier se révèle faux, aujourd’hui : et alors ? « Les médias ne s’excusent jamais, ils sont sans mémoire », écrit Daniel Schneimann dans Libération, au lendemain de la publication par les avocats des inculpés d’éléments pour le moins troublants : le journaliste vise tout à la fois le quotidien qui l’emploie et des chaînes de télévision prises d’un même réflexe mimétique. Toutes les vérités sont bonnes à dire, même quand elles sont successives et se contredisent…Les médias tiront-ils le moment venu les enseignements d’une affaire qui n‘a finit de nous surprendre ?
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