vendredi 4 décembre 2009

Tarnac, again









Paru sur http://www.article11.info/


" Joli pied de nez et classieuse façon de reprendre la main. On ne va pas tourner autour du pot : on a aimé la belle déclaration d’insoumission qu’ont fait paraître ceux de Tarnac dans Le Monde. On a eu envie de l’écrire, n’en déplaise à ces puristes et auto-proclamés gardiens du temple qui n’ont jamais de mots assez durs pour dénoncer d’imaginaires compromissions.


Tarnac, again
vendredi 4 décembre 2009, par Lémi et JBB



À lire (ici), plaisir sincère. A relire itou. Ni chapelles, ni coups bas. Ni démission ni posture messianique. Un camouflet et une révolte sincères : Il n’y a pas besoin de se croire au-dessus de la justice pour constater qu’elle est en-dessous de tout, écrivent-ils. On le pense aussi. Trop de dégoûts, depuis trop longtemps.

Ce n’est plus affaire d’adhésion théorique, d’embrigadement, juste de bon sens. Ceux-ci restent debout, provocants. Et il faut, à défaut d’en faire bêtement des modèles, reconnaître l’audace de leur position. Ceux qui se disaient insoumis sont passés à l’acte, c’est déjà assez rare pour être souligné.
À trop avoir entendu, lu, discuté, ce qui déconnait dans le Comité Invisible et leur opus, à trop avoir délaissé ce qui au départ faisait sa consistance – une communauté certes faillible mais dévouée à la concoction d’un ailleurs politique, imaginative et agissante – on en oubliait le message premier, l’incitation à la révolte primaire, nécessaire. Ta chapelle nous emmerde, proclamait-on, incertains : trop d’élitisme abscons, de prétentions intellectuelles, de dogmatisme distillé par des suiveurs borné. Et pourtant, au final, il faut reconnaitre que ta chapelle emmerdante est stimulante, qu’elle remue en vrac cet égout dont on ne sait que faire, à part le critiquer encore et toujours, disque rayé. Elle gratte, dérange, provoque. Il n’est qu’à voir comment le pouvoir en place la traite pour comprendre qu’elle est tout sauf insignifiante.

La désertion. Voilà ce qu’ils décident, les terroristes. Quel plus beau mot ? Refus pur et simple, fuite avec les honneurs, sans fuite. Nous ne chercherons pas à nous cacher, disent-ils. Simplement, nous désertons le juge Fragnoli et les cent petites rumeurs, les mille aigreurs misérables qu’il répand sur notre compte devant tel ou tel journaliste. Refus digne. « I would prefer not to », répétait en boucle Bartleby, fuyant les usages du monde. « Je refuse de répondre », scandait Dashiell Hammett à ses juges, répétant encore et encore combien la lourde machine du maccarthysme ne saurait réduire sa détermination. Toujours, ils ont raison, ceux qui rendent publique et argumentent leur ligne de fuite quand la machine s’acharne sur eux, quand l’effrayant Barnum se déchaîne.

Nombreux sont ceux qui moquent le goût de la tribune médiatique des - appelons-les ainsi - Tarnaciens. Qui trouvent (à juste titre) que la cellule invisible ne l’est pas tant que ça, à force de multiplier les prises de parole spectaculaires. Et qui fustigent le choix d’un ex-prestigieux quotidien - information de référence pour un vieux Monde toujours debout - pour abriter leur coups de sang et de colères. Et quoi, il ne faudrait pas se servir des médias dans la guerre sourde qui se joue là ? Ne pas se compromettre avec ces "journaflics" que certains - embarqués dans une rhétorique fleurant bon les absurdes jambisations [1] de la fin des années 1970 - considèrent pis que pendre ? Ne s’exprimer que par tracts et brochures ?

Balivernes.

Les purs nous fatiguent, qui guettent dans la plus infime reculade de ceux osant prendre quelques risques le reflet de leurs propres doutes. Les intransigeants nous rebutent, gens qui scrutent le moindre signe de compromission et se soucient tant de trahison qu’ils ne voient pas combien ils marchent seuls, sans relais ni amis. Les dogmatiques nous horripilent, rats de bibliothèque du mouvement scrutant toute phrase et pesant chaque mot pour mieux déceler un infléchissement du discours comme preuve ultime de parjure. Intellectuels dévoyés, médiocres ayatollahs de la juste révolution, donneurs de leçons à la petite semaine et autres gardiens du temple et du dogme… on en a soupé, de vos préceptes et de vos ordres.

Panache. Flamboyance. Audace. On ne demande rien de plus. De la vie, bordel ! Ceux qui la refusent, qu’ils se revendiquent autonomes, révolutionnaires ou au contraire thuriféraires du régimes, nous emmerdent tout autant. Leur semblable mépris pour les faiblesses du genre humain, leur goût commun pour la grisaille et l’embrigadement ne nous inspirent que baillements et lassitude. Ni leur révolte, ni leurs insurrections n’existent, puisqu’eux ne sont pas capable de rire ni de pleurer, de danser ni de chanter. « If I can’t dance, it’s not my revolution. » Emma Goldmann rirait bien de ces prêtres ennuyeux, Saint Just qui n’en ont pas le talent mais dispensent, avec un sérieux désespérant, leurs mauvais points comme autant de passeports pour l’échafaud. La Fédération anarchiste en a récemment fait les frais, sa librairie (Publico) taguée par des activistes jugeant plus urgent de fustiger quelques camarades dans l’erreur que de s’en prendre directement au système qui nous broie [2]. Comme s’il s’agissait de prouver combien notre camp sait être ridicule et suicidaire, sans relâche, obstinément.

Cela devrait être évident pour chacun disposant d’un cortex cérébral à peu près en état de marche : les autonomes - disons, ceux qu’on regroupe arbitrairement sous ce mot - ne feront pas la révolution. Jamais. Le grande révolte, si elle vient un jour, ne sera pas celle d’une avant-garde élitiste, biberonné aux pompeux philosophes et aux citations latines. L’insurrection - puisque tout le monde n’a que ce mot-là à la bouche, fantasme d’un monde meilleur se parant d’une violence très romantique - ne s’est jamais fomentée dans quelques recoins de bibliothèque, ni n’a été menée par quelques thésards en mal de sensations fortes.

Justement : c’est de cela, de ce vernis d’irréalité intellectuelle, de cette absurde prétention philosophique et de cette ridicule pompe doctrinale que se débarrassent les Tarnaciens au fil de leurs interventions publiques. Ils descendent de leurs hauteurs, bien obligés. Goûtent à cet arbitraire qu’ils n’avaient fait que renifler de loin. En rabattent et s’affinent. On préfère.

Que veux-tu ? Quand tout ne devient plus qu’affaire d’ego, de ligne partisane, de positionnement, on recule, on s’écarte. La ligne est mortifère, tue l’élan. Tiqqun flirtait souvent avec ça, dogmatique et élitiste [3], tout comme certains passages de L’Insurrection qui vient. La désignée "mouvance autonome" itou. Trop de staliniens intellectuels, d’anarchistes proclamés édifiant des barrières et refusant le dialogue pour poser une seule vérité, la leur, indiscutable et obtuse.

Les autonomes - disons : ceux qu’on regroupe arbitrairement sous ce mot - ne feront pas la révolution, donc. Mais ils pourraient être l’aiguillon d’une juste révolte. Ils seront là, comme les autres, avec tous les autres. Tous ceux qui ne parviennent plus à dissimuler tout le mal qu’ils pensent du monde tel qu’il va. Tous ceux qui constatent que dans la machine sociale, cela explose à bas bruit, et parfois à si bas bruit que cela prend la forme d’un suicide. Tous ceux qui feront ce mouvement de masse, qui, parmi tant d’autres choses, les dissoudra, eux, ces valets du pouvoir et autres rustines policières.

Si élan il y a, il sera vaste et populaire, protéiforme et pluriel. Et trouvera tout autant ses racines - si ce n’est plus - dans les colonnes du Monde que dans de confidentiels collectifs si pressés de définir l’unique ligne à suivre qu’ils ne se rendent même plus compte à quel point ils ont perdu tout lien avec le joyeux espoir d’un monde meilleur.

Ils écrivent : Mais ce que nous désertons d’abord, c’est le rôle d’ennemi public, c’est-à-dire, au fond, de victime, que l’on a voulu nous faire jouer. Et, si nous le désertons, c’est pour pouvoir reprendre la lutte. Cette lutte qu’il mènent n’est pas solitaire. Elle palpite. Elle s’articule avec toutes celles menées par les dégoutés du monde présent, les déroutés du 21e siècle. C’est tellement mieux que rien.





Notes

[1] Pratique consistant à tirer une balle dans la jambe d’un désigné ennemi de classe, contre-maitre, homme politique, journaliste etc., très usitée durant les années de plomb italiennes, y compris contre des journalistes progressistes.
[2] Ces révoltés d’opérette sont allés jusqu’à commettre un communiqué de revendication.
[3] Même si bien souvent tiré droit au but.







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