Par KARL LASKE le 11/12/09.
Le 26 novembre, Thierry Fragnoli est allé interroger Jean-Hugues Bourgeois, dont le témoignage anonyme est contesté.
Après avoir fait du surplace, c’est désormais à reculons que les juges antiterroristes instruisent l’affaire des sabotages des lignes TGV. Le 26 novembre, le juge Thierry Fragnoli s’est rendu précipitamment en Loire-Atlantique pour interroger, pour la troisième fois, Jean-Hugues Bourgeois. Entendu une première fois sous X à Riom (Puy-de-Dôme) en novembre 2008 par la sous-direction antiterroriste (Sdat) de la PJ, puis sous son identité réelle un mois plus tard, ce jeune éleveur de chèvres est présenté comme témoin à charge contre les jeunes de Tarnac (Corrèze). Le magistrat a aussi entendu, vendredi, le gendarme qui a servi d’intermédiaire à la Sdat pour le faire témoigner.
Ce sont les avocats de la défense qui ont demandé le 25 novembre au juge Fragnoli de procéder à l’audition de Jean-Hugues Bourgeois, après qu’il avait confié à des journalistes de TF1 n’avoir eu «aucune idée de la teneur du témoignage anonyme» recueilli par les policiers. «Ce témoignage, il est faux. Il a été fait par quelqu’un qui n’est pas témoin anonyme.» Les avocats réclamaient une audition en leur présence. Mais le magistrat les a pris de vitesse, organisant l’audition toutes affaires cessantes, «afin d’éviter que les pressions de la presse ne fassent échec à la manifestation de la vérité».
«Chantage».«Je n’ai pas souhaité témoigner anonymement, ni ne me suis présenté spontanément dans une gendarmerie», a d’entrée précisé Bourgeois lors de cette dernière audition. «Je ne veux plus jouer le moindre rôle dans l’affaire dite de Tarnac, a-t-il déclaré au juge, et je tiens à ce que mon identité figure au dossier afin que mon anonymat ne puisse plus faire l’objet d’un quelconque chantage.»
A l’origine, le témoignage sous X de l’éleveur, qui comptait plusieurs amis installés à Tarnac, était présenté comme central par la Sdat, le parquet et les magistrats instructeurs. Alors que le procès-verbal anonyme et le rapport de la Sdat lui faisaient dire que «l’objectif final du groupe était le renversement de l’Etat» et que «Julien Coupat avait évoqué la possibilité d’avoir à tuer», Bourgeois déclarait exactement l’inverse dans sa deuxième audition. Il n’avait jamais entendu parler à Tarnac de «projets violents visant l’Etat», et avait du mal à croire que Coupat «était celui que les autorités présentent comme un terroriste». Entre ces deux versions, Bourgeois a indiqué au juge Fragnoli le 26 novembre qu’il n’avait «rien à ajouter ou à retrancher» à son second témoignage, celui qui exonère complètement le groupe de Tarnac. Cette déclaration annule de facto son témoignage sous X. Bourgeois est resté néanmoins silencieux sur «les pressions» subies pour le faire témoigner. Il s’est contenté de dire qu’elles n’étaient pas le fait des deux policiers de la Sdat qui l’ont interrogé.
A l’époque, Bourgeois, qui venait de s’installer à plus de 100 kilomètres de Tarnac, avait subi de nombreux actes de malveillance visant à lui faire abandonner son élevage - chèvres tuées, granges incendiées…«J’étais sous écoute téléphonique depuis plusieurs mois. J’ai donc reconnu auprès de l’adjudant en charge de mon dossier connaître le groupe dit de Tarnac, et il a reconnu le savoir», a expliqué l’éleveur au juge Fragnoli. Au moment des premières gardes à vue de Tarnac, l’adjudant l’a fait venir à la gendarmerie, et c’est là qu’il annonce à Bourgeois que «deux officiers de la Sdat» sont venus l’interroger, qu’il «n’assisterait pas à l’audition» mais «qu’il demanderait à relire le procès-verbal». Une surprise attend l’éleveur : «Le juge d’instruction chargé de mon dossier [de harcèlement, ndlr] à Riom, M. Méral, s’est présenté pour saluer les officiers de la Sdat. C’était la première fois que je le rencontrais.» L’adjudant convainc Bourgeois de l’utilité de l’anonymat. «Si ma proximité avec les gens de Tarnac avait été connue par les gens de mon village, ça aurait été la fin de tout, reconnaît l’éleveur. Les médias présentaient les mis en cause comme un groupe ultraviolent.»
Dans ses explications recueillies par TF1, Bourgeois signalait que les policiers lui avaient dit :«Si ça se sait que tu connais les gens de Tarnac, c’est fini, tu peux te barrer», que peut-être son ADN serait «retrouvé». Et aussi qu’ils avaient «tout un tas d’infos, d’interceptions de mails, d’infos de gars infiltrés en squat, ce genre de choses, qui ne sont pas exploitables dans une procédure judiciaire» et qu’ils avaient «besoin d’une signature». «On a une info, et on ne sait pas comment on peut la mettre dans un dossier pour que le juge dise : "OK, ça marche"», auraient dit les policiers. Hélas, le juge Fragnoli n’a pas questionné le témoin sur ces accusations, pourtant gravissimes.
«Menace». Vendredi, le gendarme de Riom a assuré de son côté que Jean-Hugues Bourgeois l’avait contacté - contrairement à ce qu’il affirme - pour lui faire «des révélations» sur les gens de Tarnac.«En aucun cas, M. Bourgeois n’a été forcé de déposer», a-t-il dit. Il n’a «jamais entendu une quelconque menace» de la part des policiers. Selon lui, Bourgeois avait effectivement chargé ceux de Tarnac, en signalant que pour eux «le combat politique était plus important que la vie humaine». Si le juge Fragnoli poursuit son travail de vérification, il devrait logiquement confronter l’ex-témoin sous X au gendarme et, pourquoi pas, faire procéder à l’audition des deux policiers de la Sdat mis en cause.
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