Article de Karl Laske paru dans Libération du 24 septembre 2010.
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Les avocats du groupe de Tarnac, qui demandent l’annulation d’une partie de l’enquête, seront fixés le 22 octobre.
Les avocats du groupe de Tarnac, qui demandent l’annulation d’une partie de l’enquête, seront fixés le 22 octobre.
Quand un objet revient ainsi à la tête de celui qui l’a lancé, on dit que c’est un boomerang. Le volumineux dossier de l’enquête sur les sabotages des lignes TGV dans la nuit du 7 ou 8 novembre 2008 est désormais en suspension. Et il pourrait bien retomber sur les responsables de la sous-direction antiterroriste (Sdat), coauteurs du «coup de filet» visant la «mouvance arnarcho-autonome» à Tarnac. En deux ans d’instruction, aucune preuve n’est venue confirmer l’accusation contre les jeunes de Tarnac, toujours poursuivis pour «association de malfaiteurs, destructions et dégradation en relation avec une entreprise terroriste». Au terme d’une véritable contre-enquête, les avocats de la défense, Me Thierry Lévy, Jérémie Assous et William Bourdon ont soulevé, hier, la nullité de plusieurs actes de procédure devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris. Ils seront fixés le 22 octobre.
Témoin sous X, procès-verbaux approximatifs, filatures imprécises et écoutes illégales : les méthodes employées par la Sdat dans la phase préliminaire de l’enquête sont désormais en cause. «Si un procès a lieu, ce sera celui de la police antiterroriste, estime Me Jérémie Assous. La procédure est en miettes, parce que la police n’a eu de cesse de la piétiner.» Sous la pression des avocats, le juge antiterroriste Thierry Fragnoli a été contraint d’interroger les responsables policiers, faisant apparaître de nouvelles contradictions. D’ores et déjà, le parquet général a requis, hier, l’annulation de la surveillance vidéo mise en place à Paris dans l’immeuble de Julien Coupat.
«Ces irrégularités de procédure sont évidemment liées à l’instrumentalisation politique de cette affaire, commente Me William Bourdon. C’est l’obsession de livrer un dossier clé en main qui a conduit à ces dérapages.» Analyse des zones d’ombre et des failles procédurales.
Des surveillances illicites ?
La police s’est livrée à une enquête «préventive» plus que préliminaire. En avril 2008, lorsque l’enquête préliminaire est ouverte, les policiers de la Sdat ne disposent d’aucun soupçon précis, hormis l’entrée sans visa, ni passeport, de Julien Coupat sur le territoire américain, en janvier 2008. Ils n’en dénoncent pas moins l’existence d’une «structure clandestine anarcho-autonome», disposant de «bases logistiques» en France, et projetant des «actions violentes». Loin de stopper immédiatement cette menace, ils attendent l’été pour équiper de caméras des arbres de la ferme du Goutailloux, à Tarnac, réaliser un album photo des visiteurs, et les placer sur écoutes. Cette surveillance intensive n’apporte aucun élément à charge dans l’affaire des sabotages de la SNCF. Une caméra est aussi fixée sur le toit d’un immeuble parisien. Celle-ci est orientée sur la cour intérieure, de façon à surveiller les allées et venues dans l’appartement occupé par Julien Coupat. Or cette dernière mesure, dans une phase d’enquête préliminaire, nécessite désormais l’accord du juge des libertés et de la détention (JLD), qui n’a pas été sollicité. Le parquet général s’est prononcé en faveur de l’annulation des procès-verbaux de cette vidéosurveillance. «Le parquet s’est désolidarisé de la Sdat, en signalant qu’il n’avait même pas été averti de ce dispositif de surveillance», explique Me Assous. Les avocats mettent également en doute la légalité d’écoutes découvertes à Tarnac, par un agent de France Télécom, en avril 2008.
Le témoin anonyme a-t-il été influencé ?
C’est un témoin sous «x» qui a apporté à l’accusation sa pièce maîtresse. Baptisé «témoin 42», il décrit Coupat comme un homme «qui n’a jamais caché faire peu de cas de la vie humaine» , qui «pourrait envisager d’avoir à tuer» et souhaite «le renversement de l’Etat par le biais d’actions de déstabilisation». Des expressions qui seront reprises in extenso lors du «coup de filet». Sans qu’on sache pourquoi, la Sdat réentend, un mois plus tard, 42 sous son identité réelle, Jean-Hugues Bourgeois, un jeune militant devenu agriculteur. Bourgeois contredit frontalement 42. Il n’a jamais été informé des «projets violents» du groupe et a un peu de mal à croire qu’on puisse présenter Coupat «comme un terroriste». «Une forfaiture !» commente Me Assous. Encore un an plus tard, il confie à TF1 que «ce témoignage» sous x «est faux». Comprendre dicté. Aux journalistes, Bourgeois confirme être 42. Le juge Fragnoli l’interroge aussitôt. Bourgeois refuse de parler de sa déposition en tant que 42, et dit qu’il n’a «rien à ajouter ou retrancher» au témoignage effectué sous sa véritable identité. On a donc trois versions. Les avocats de la défense ont demandé - sans succès - au juge un nouvel interrogatoire de Bourgeois en leur présence. La chambre de l’instruction a été, hier, saisie de ce refus et d’une question prioritaire de constitutionnalité exposée par les avocats. Le code de procédure pénale n’offre qu’un délai de dix jours pour contester le recours à «l’anonymisation» d’un témoignage. «Sur le fond, ce délai est trop restrictif pour permettre à un mis en examen d’exercer un recours effectif, explique Me Bourdon. C’est d’autant plus scandaleux que le témoin anonyme est un témoin clé.» L’objectif des avocats est d’obtenir l’examen du sujet par le Conseil constitutionnel.
Quel crédit pour le PV de filature ?
Les policiers étaient une vingtaine : 6 appartenaient à la Sdat, 14 à la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). Ils ont suivi Julien Coupat et Yildune Lévy la nuit du 7 au 8 novembre 2008, dans une zone voisine du lieu des sabotages. Le couple a dîné, et dormi dans leur voiture, à 30 kilomètres de là. Et selon les policiers, il serait allé se garer à proximité immédiate de la voie TGV sabotée ce soir-là. En relisant attentivement le PV, les avocats de la défense ont d’abord relevé de graves incohérences. Selon le relevé policier, le couple avait parcouru le chemin entre la commune où il avait dormi et le lieu du sabotage, soit 26,6 km en dix minutes, de 3 h 50 à 4 heures. Impossible à moins d’avoir roulé à 159 km/h. Questionnés par le juge, les policiers ont plaidé l’erreur de la prise de notes. Ils auraient écrit un «5» au lieu d’un «3». Mais selon le PV initial, la voiture de Coupat avait aussi stationné de 4 heures à 4 h 20 quelques mètres «avant le pont de chemin de fer» incriminé. Dans une nouvelle version communiquée au juge, le véhicule se serait posté dans une autre voie de service, à une centaine de mètres du pont. D’autres PV indiquent aussi «après le pont» ou encore «sous le pont». Ces approximations ont pour avantage d’écarter l’analyse des traces de pneus réalisée par les experts, qui ne correspondaient pas à ceux de la voiture de Coupat. Il n’y a pas que ça : les policiers avaient aussi indiqué avoir levé leur dispositif à 5 h 25, après avoir vu «une gerbe d’étincelles», au passage du premier TGV. «L’ensemble des effectifs a quitté la zone immédiatement» , indiquait le PV. Or à 5 h 30, nouvelle erreur de prise de notes, les policiers étaient déjà de retour dans le village où le couple avait dormi. Soit cinq minutes pour faire 26,6 km… 324 km/h cette fois ! En réalité, l’analyse du trafic téléphonique montre que les fonctionnaires étaient encore sur place à 6 heures du matin. «Le récit des services de police paraît pour le moins invraisemblable», concluent les avocats. «Pour que ce PV ait une force probante, il faudrait aussi que l’officier soit témoin de l’ensemble des faits qu’il relate, explique Me Assous. Ce n’est pas le cas : c’est un PV de synthèse, un PV de renseignement. Pourquoi les 20 policiers présents n’ont pas rédigé, chacun, un procès-verbal comme ils l’ont fait dans les opérations suivantes ?» La défense n’a pas curieusement pas eu accès au trafic téléphonique de 3 h 30 à 5 h 10. Le juge d’instruction pourrait réaliser prochainement une reconstitution des faits.
Témoin sous X, procès-verbaux approximatifs, filatures imprécises et écoutes illégales : les méthodes employées par la Sdat dans la phase préliminaire de l’enquête sont désormais en cause. «Si un procès a lieu, ce sera celui de la police antiterroriste, estime Me Jérémie Assous. La procédure est en miettes, parce que la police n’a eu de cesse de la piétiner.» Sous la pression des avocats, le juge antiterroriste Thierry Fragnoli a été contraint d’interroger les responsables policiers, faisant apparaître de nouvelles contradictions. D’ores et déjà, le parquet général a requis, hier, l’annulation de la surveillance vidéo mise en place à Paris dans l’immeuble de Julien Coupat.
«Ces irrégularités de procédure sont évidemment liées à l’instrumentalisation politique de cette affaire, commente Me William Bourdon. C’est l’obsession de livrer un dossier clé en main qui a conduit à ces dérapages.» Analyse des zones d’ombre et des failles procédurales.
Des surveillances illicites ?
La police s’est livrée à une enquête «préventive» plus que préliminaire. En avril 2008, lorsque l’enquête préliminaire est ouverte, les policiers de la Sdat ne disposent d’aucun soupçon précis, hormis l’entrée sans visa, ni passeport, de Julien Coupat sur le territoire américain, en janvier 2008. Ils n’en dénoncent pas moins l’existence d’une «structure clandestine anarcho-autonome», disposant de «bases logistiques» en France, et projetant des «actions violentes». Loin de stopper immédiatement cette menace, ils attendent l’été pour équiper de caméras des arbres de la ferme du Goutailloux, à Tarnac, réaliser un album photo des visiteurs, et les placer sur écoutes. Cette surveillance intensive n’apporte aucun élément à charge dans l’affaire des sabotages de la SNCF. Une caméra est aussi fixée sur le toit d’un immeuble parisien. Celle-ci est orientée sur la cour intérieure, de façon à surveiller les allées et venues dans l’appartement occupé par Julien Coupat. Or cette dernière mesure, dans une phase d’enquête préliminaire, nécessite désormais l’accord du juge des libertés et de la détention (JLD), qui n’a pas été sollicité. Le parquet général s’est prononcé en faveur de l’annulation des procès-verbaux de cette vidéosurveillance. «Le parquet s’est désolidarisé de la Sdat, en signalant qu’il n’avait même pas été averti de ce dispositif de surveillance», explique Me Assous. Les avocats mettent également en doute la légalité d’écoutes découvertes à Tarnac, par un agent de France Télécom, en avril 2008.
Le témoin anonyme a-t-il été influencé ?
C’est un témoin sous «x» qui a apporté à l’accusation sa pièce maîtresse. Baptisé «témoin 42», il décrit Coupat comme un homme «qui n’a jamais caché faire peu de cas de la vie humaine» , qui «pourrait envisager d’avoir à tuer» et souhaite «le renversement de l’Etat par le biais d’actions de déstabilisation». Des expressions qui seront reprises in extenso lors du «coup de filet». Sans qu’on sache pourquoi, la Sdat réentend, un mois plus tard, 42 sous son identité réelle, Jean-Hugues Bourgeois, un jeune militant devenu agriculteur. Bourgeois contredit frontalement 42. Il n’a jamais été informé des «projets violents» du groupe et a un peu de mal à croire qu’on puisse présenter Coupat «comme un terroriste». «Une forfaiture !» commente Me Assous. Encore un an plus tard, il confie à TF1 que «ce témoignage» sous x «est faux». Comprendre dicté. Aux journalistes, Bourgeois confirme être 42. Le juge Fragnoli l’interroge aussitôt. Bourgeois refuse de parler de sa déposition en tant que 42, et dit qu’il n’a «rien à ajouter ou retrancher» au témoignage effectué sous sa véritable identité. On a donc trois versions. Les avocats de la défense ont demandé - sans succès - au juge un nouvel interrogatoire de Bourgeois en leur présence. La chambre de l’instruction a été, hier, saisie de ce refus et d’une question prioritaire de constitutionnalité exposée par les avocats. Le code de procédure pénale n’offre qu’un délai de dix jours pour contester le recours à «l’anonymisation» d’un témoignage. «Sur le fond, ce délai est trop restrictif pour permettre à un mis en examen d’exercer un recours effectif, explique Me Bourdon. C’est d’autant plus scandaleux que le témoin anonyme est un témoin clé.» L’objectif des avocats est d’obtenir l’examen du sujet par le Conseil constitutionnel.
Quel crédit pour le PV de filature ?
Les policiers étaient une vingtaine : 6 appartenaient à la Sdat, 14 à la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). Ils ont suivi Julien Coupat et Yildune Lévy la nuit du 7 au 8 novembre 2008, dans une zone voisine du lieu des sabotages. Le couple a dîné, et dormi dans leur voiture, à 30 kilomètres de là. Et selon les policiers, il serait allé se garer à proximité immédiate de la voie TGV sabotée ce soir-là. En relisant attentivement le PV, les avocats de la défense ont d’abord relevé de graves incohérences. Selon le relevé policier, le couple avait parcouru le chemin entre la commune où il avait dormi et le lieu du sabotage, soit 26,6 km en dix minutes, de 3 h 50 à 4 heures. Impossible à moins d’avoir roulé à 159 km/h. Questionnés par le juge, les policiers ont plaidé l’erreur de la prise de notes. Ils auraient écrit un «5» au lieu d’un «3». Mais selon le PV initial, la voiture de Coupat avait aussi stationné de 4 heures à 4 h 20 quelques mètres «avant le pont de chemin de fer» incriminé. Dans une nouvelle version communiquée au juge, le véhicule se serait posté dans une autre voie de service, à une centaine de mètres du pont. D’autres PV indiquent aussi «après le pont» ou encore «sous le pont». Ces approximations ont pour avantage d’écarter l’analyse des traces de pneus réalisée par les experts, qui ne correspondaient pas à ceux de la voiture de Coupat. Il n’y a pas que ça : les policiers avaient aussi indiqué avoir levé leur dispositif à 5 h 25, après avoir vu «une gerbe d’étincelles», au passage du premier TGV. «L’ensemble des effectifs a quitté la zone immédiatement» , indiquait le PV. Or à 5 h 30, nouvelle erreur de prise de notes, les policiers étaient déjà de retour dans le village où le couple avait dormi. Soit cinq minutes pour faire 26,6 km… 324 km/h cette fois ! En réalité, l’analyse du trafic téléphonique montre que les fonctionnaires étaient encore sur place à 6 heures du matin. «Le récit des services de police paraît pour le moins invraisemblable», concluent les avocats. «Pour que ce PV ait une force probante, il faudrait aussi que l’officier soit témoin de l’ensemble des faits qu’il relate, explique Me Assous. Ce n’est pas le cas : c’est un PV de synthèse, un PV de renseignement. Pourquoi les 20 policiers présents n’ont pas rédigé, chacun, un procès-verbal comme ils l’ont fait dans les opérations suivantes ?» La défense n’a pas curieusement pas eu accès au trafic téléphonique de 3 h 30 à 5 h 10. Le juge d’instruction pourrait réaliser prochainement une reconstitution des faits.
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