mercredi 1 septembre 2010

Sur des "éclaircissements policiers" ...




Paru sous le titre "Tarnac : lorsque les éclaircissements policiers jettent le trouble" le 1er septembre 2010 sur le site du Nouvel Observateur.

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Le rapport des policiers, qui devait éclaircir les conditions dans lesquelles s'est déroulée la filature de Julien Coupat dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008, ne semble pas permettre de lever les doutes. Au centre, de celui-ci : la question des horaires.

Ils étaient censés apporter des clarifications. Mais les voilà qui se contredisent et embrouillent encore la situation. Sommés d'expliquer au juge d'instruction le déroulement de leur filature de Julien Coupat et de sa compagne Yildune Levy dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008 (et non 2009 comme indiqué par erreur), au cours de laquelle fut saboté un caténaire SNCF, les policiers ont mis six mois pour rendre... une copie bien confuse. L'énoncé du devoir était pourtant clairement posé par le juge Fragnoli. Dans la commission rogatoire du 5 novembre, adressée aux enquêteurs de la sous direction antiterroriste et de la police judiciaire, il leur demandait de préciser un certain nombre de points. Parmi ceux-ci la cruciale question des horaires.

On se souvient que la défense du groupe de Tarnac avait frappé un grand coup à l'automne dernier : décortiquant le PV 104 de la procédure, dans lequel les policiers reconstituent la filature qu'ils disent avoir effectuée de Coupat et de sa future femme, Maîtres Levy, Bourdon et Assous avaient émis des doutes quant à la présence des policiers sur place. Ceux-ci prétendaient avoir suivi la voiture du jeune couple depuis le Trilport jusqu'à Dhuisy, lieu du sabotage, entre 3h50 et 4 heures du matin. Or les deux points sont distants d'une trentaine de kilomètres. Impossible de les rallier en si peu de temps (voir notre enquête du 26 novembre dernier : Tarnac, drôle d'enquête). Une erreur de retranscription, plaident les policiers dans leur réponse au juge que nous avons pu consulter en exclusivité : "erreur matérielle de prise de note (…), erreur aisément compréhensible lorsque l'on sait que les chiffres 3 et 5 peuvent facilement être confondus non seulement en raison de leurs dessins approchants mais aussi eu égard aux circonstances nocturnes de cette prise de note". 3h30, ça fait 20 minutes de gagnées pour le trajet.

"Trafic téléphonique sur le lieu des dégradations"

Pour les enquêteurs, la filature de Dhuisy a bien eu lieu. Ils en détaillent les conditions : une vingtaine de fonctionnaires, répartie sur plusieurs véhicules et motos, suivait cette nuit là la Mercedes du militant d'ultra gauche. La preuve ultime de leur présence sur place ? Les relevés des bornes téléphoniques qui ont capté leurs appels jusqu'à six heures du matin par les antennes de Dhuisy et Coulombs en Valois. Les policiers fournissent au juge trois pages de tableau du "trafic téléphonique sur le lieu des dégradations" entre 5h10 et 6 heures du matin. 28 appels ont été passés ou reçus. La plupart des numéros, précisent les enquêteurs "sont biffés" pour des raisons de sécurité. Deux appels apparaissent en revanche avec les numéros des téléphones concernés. Il s'agit de ceux passés entre l'équipe présente sur le terrain et le commissaire divisionnaire. Un premier coup de téléphone est donné à 5h23, il dure 1 minute et onze secondes. Le second, à 5h25, dure 34 secondes. A priori, rien d'anormal : Coupat ayant quitté la zone à 4h20, les policiers fouillent un temps les voies ferrées avant de voir passer le premier train (à 5h10), au passage duquel un bruit sec se fait entendre (le crochet endommageait le caténaire, mais les forces de l'ordre ne le savaient pas encore). Avant de lever le camp, les fonctionnaires avertissent " immédiatement" leur hiérarchie.

"Biffés pour des raisons de sécurité"

Pourtant ce relevé téléphonique jette une nouvelle confusion sur une enquête qui n'en n'avait pas besoin. Pourquoi ? Parce qu'à 5h23 et à 5h25 du matin du 8 novembre, les policiers ont quitté la ligne à grande vitesse depuis près de dix minutes. Le lieutenant L. écrit d'ailleurs : "après voir franchi les deux portails (d'accès à la voie ferrée, ndlr) l'ensemble des effectifs ont quitté la zone immédiatement afin de se rendre sur la commune du Trilport et de procéder à des recherches dans la poubelle où Julien Coupat avait été observé jetant des objets quelques heures auparavant". Il précise qu'à 5h30, ils sont au Trilport. Le Trilport qui, à l'aller comme au retour, est à 27 kilomètres de Dhuisy... Nouvelle erreur de transcription ou incohérence du scénario policier ? Il est impossible de téléphoner à 5h25 de Dhuisy et de fouiller une poubelle cinq minutes plus tard au Trilport. Or jusqu'à six heures du matin, des coups de téléphone ont été émis de la zone de Dhuisy par des numéros "biffés pour des raisons de sécurité" donc appartenant à des policiers...

Le mystère s'épaissit

Qui était à Dhuisy dans la nuit du 7 au 8 novembre ? Julien Coupat seul ? Les policiers et Coupat ? Les policiers seulement ? Personne ? Le mystère s'épaissit. "Les contradictions entre le procès-verbal D104 et l'ensemble des pièces d'exécution de la commission rogatoire démontrent que l'un de ces deux documents ou les deux sont un ou des faux", concluent les avocats Thierry Levy et Jérémie Assous dans une note adressée hier au juge d'instruction. Ils lui demandent une nouvelle fois de procéder à une reconstitution. La stratégie de la défense est claire : accréditer la thèse d'un montage policier visant à faire de Coupat le responsable d'un réseau terroriste à même de mettre en difficulté la gauche française et de justifier les mesures ultrasécuritaires d'un sarkozysme au menton levé. Le dénouement politique de Tarnac n'a pas encore eu lieu. Son épilogue judiciaire pourrait venir rapidement : le 23 septembre prochain, la chambre de l'Instruction se réunira pour étudier la demande de nullité déposée par les avocats du groupe. Sont en cause des surveillances vidéo effectuées avant l'ouverture de l'instruction et donc jugées illégales par les avocats. Si les magistrats se rangent à cette analyse, le dossier Tarnac pourrait être tout bonnement annulé. Une sortie par la petite porte, qui pourrait faire les affaires de la police anti-terroriste. Elle aurait en effet tout à craindre d'un procès où ses méthodes seraient mises en cause. Et ses imprécisions tournées en ridicule.

Isabelle Monnin





3 commentaires:

  1. l'article du Canard est pas mal non plus

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  2. “La vérité de demain se nourrit de l'erreur d'hier.”

    amitiés

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  3. Deux autres articles :

    - http://www.radio-totem.net/actualite/journal/correze/article-29236-du-nouveau-dans-l-affaire-de-tarnac/?page=&filtre=all

    - http://www.lepopulaire.fr/editions_locales/limoges/nouveaux_doutes_sur_l_enquete_policiere@CARGNjFdJSsGEBwCBxo-.html

    C'est gros squick qui va être content...

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