paru le 21/09/10 sur Les Inrocks
La procédure contre Julien Coupat et les huit autres mis en examen dans l'affaire des sabotages SNCF est-elle régulière ? La chambre de l’instruction se penche ce jeudi sur cette question.
Bientôt deux ans que l’instruction est ouverte, et la procédure pourrait être remise en cause en profondeur. C’est le souhait des avocats des mis en examen de Tarnac, qui ont déposé une requête en annulation le 1er avril. Ce jeudi, la chambre de l’instruction se réunit pour examiner leurs griefs et rendra sa décision d’ici un mois.
Où en est le dossier
En octobre et novembre 2008, le placement de fers à béton sur des caténaires SNCF a entraîné des perturbations du trafic ferroviaire. Ce sont des actes volontaires, et la police recherche les coupables.
Le 11 novembre 2008, dix personnes identifiées comme membres de la “mouvance anarcho-autonome”, soupçonnées de sabotages contre le réseau ferré, sont arrêtées et leurs domiciles perquisitionnés.
Après 96 heures de garde à vue (le régime réservé aux affaires de terrorisme), neuf d'entre elles sont mises en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Julien Coupat, considéré comme leur chef, doit répondre de la “direction d’une structure à vocation terroriste”, punie de 20 ans de prison.
A l’époque, le procureur de Paris, Jean-Claude Marin, parle du “noyau dur d’une cellule qui avait pour objet la lutte armée". Il voit la ferme du Goutailloux, en Corrèze, comme un "lieu de rassemblement, d'endoctrinement, une base arrière pour les actions violentes". Le livre L'Insurrection qui vient, attribué à Julien Coupat, est retenu contre les suspects comme un manifeste.
En quelques mois, le dossier se dégonfle : la presse révèle que le principal témoin à charge est un mythomane sur qui les enquêteurs ont misé pour booster le dossier. Par ailleurs, le procès-verbal des policiers de la SDAT (Sous-direction anti-terroriste), qui surveillaient Julien Coupat et sa compagne Yldune Lévy dans la nuit du 7 au 8 novembre, ne prouve pas leur implication dans les dégradations.
Et ce PV présente de nombreuses incohérences : les traces de pneus et de chaussures retrouvées sur les lieux ne correspondent pas à celles des mis en cause, le minutage de leurs déplacements implique qu’ils se déplacent à 159 km/h sur une route de campagne alors que selon le PV, ils “cheminent à une allure normale”, et la SDAT dit n’avoir aperçu aucun être humain aux abords immédiats de la ligne TGV sabotée.
Pour autant, le juge d’instruction Thierry Fragnoli maintient la qualification de terrorisme, un régime qui permet des investigations plus poussées et implique, s’il y a procès, qu'il se déroule devant une cour d’assises spéciale. Moqué pour son acharnement à faire coller des faits à des personnes (on parle désormais de “fragnolades” au Palais de justice de Paris), le juge ne prévoit plus de date pour la clôture de son instruction.
Vices de forme
L’arrivée de deux nouveaux avocats, Thierry Lévy et Jérémie Assous, dans le dossier, un an après le début de l’instruction à l'occasion d'une dixième mise en examen, a donné un nouvel élan à la défense. Le 1er avril 2010, ils demandent l’annulation de l’intégralité de la procédure pour plusieurs vices de forme.
Ils contestent en premier lieu le dispositif de vidéosurveillance installé au domicile de Julien Coupat lors de l’enquête préliminaire ouverte en avril 2008 sur ce groupe "identifié pour des actions fondées sur une sorte de philosophie d'insurrection contre les institutions". Deux caméras, l’une devant l’immeuble et l’autre sur le toit de l’immeuble, surveillaient le couple Coupat/Lévy.
Problème : ce dispositif aurait dû être validé par un juge d’instruction. Or, “le procureur de la République reconnaît lui-même qu'il n'avait pas été averti de l'installation de ce système de vidéosurveillance”, explique Me Jérémie Assous. Dans son réquisitoire auprès de la chambre de l’instruction, le procureur se désolidarise des policiers et assure qu’ils ne lui ont pas demandé d’autorisation.
La défense demande aussi l'annulation d’une série d’écoutes. Le Juge des libertés et de la détention n’aurait autorisé que les interceptions de communications électroniques, ce qui n’a pas empêché la police de placer les suspects sur écoute téléphonique.Enfin, les avocats contestent les délais dans lesquels une requête en nullité peut être soulevée, en vertu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui prévoit l’égalité des armes entre le procureur et les parties dans ce domaine.
“Je suis convaincu que cette demande va aboutir, si ce n'est pas devant la chambre de l'instruction ce sera devant la cour de Cassation”, assure Jérémie Assous. La chambre de l’instruction a un mois pour rendre sa décision. Si l’enquête se poursuit sans accroc, une reconstitution des faits devrait avoir lieu en novembre.
par Camille Polloni
Voir aussi :
• Groupe de Tarnac : la justice va se prononcer sur la procédure, paru le 21/09/10 sur nouvelobs.com
• L'heure de vérité approche, paru le 22/09/10 sur La Montagne
• Tarnac: la cour examine jeudi les requêtes pour vice de forme, paru le 22/09/10 sur nouvelobs.com
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire