Article publié sur mediapart.fr le 6/03/12 par Louise Fessard
Dans un livre-récit Tarnac, Magasin général (éditions Calmann-Lévy), le journaliste David Dufresne déconstruit l'affaire de Tarnac et décrit ce qu'elle révèle des jeux policiers et politiques. Le 11 novembre 2008, au petit matin, quelque 150 policiers débarquent à Tarnac, petit village de Corrèze. Dix personnes sont mises en examen pour association de malfaiteurs terroristes. Elles sont accusées d'avoir saboté plusieurs lignes à grande vitesse (LGV) entre octobre et novembre 2008.
Dans la matinée, alors que les perquisitions sont encore en cours, la ministre de l'intérieur de l'époque, Michel-Alliot Marie, convoque la presse place Beauvau et s'empresse de saluer devant les micros une « opération réussie ». Trois ans et demi plus tard, l'enquête judiciaire patine toujours.
Bien en amont de cette opération de novembre 2008, le groupe de Tarnac faisait l'objet d'une surveillance policière rapprochée. Mediapart publie aujourd'hui trois documents internes des services de renseignements tirés du livre Tarnac, Magasin général. Ils montrent comment un service policier en sursis, celui des RG, a cru trouver sa planche de salut dans la lutte contre la menace anarcho-autonome. Et comment cette nouvelle expertise a rencontré l'obsession d'une ministre de l'intérieur, Michèle Alliot-Marie, persuadée de la résurgence de la violence d'ultragauche organisée au niveau international.
Lire pages suivantes ces documents internes
Rapport des renseignements généraux. « Du conflit anti-CPE à la constitution d'un réseau pré-terroriste international : regards sur l'ultragauche française et européenne ».
Le titre de ce rapport des renseignements généraux, apparemment bouclé en juin 2008, donc juste avant leur disparition (il n'est pas daté), est éloquent. Dans un glissement explicite, les policiers établissent un continuum entre le mouvement contre le Contrat première embauche (CPE) « qui aura permis à l'extrême gauche d'étendre son influence et de capter une nouvelle génération d'activistes désinhibés quant au recours à la violence » et l'émergence « d'une situation pré-terroriste ».
Les policiers mettent en garde sur les dégradations, occupations et incidents attribués à cette utltragauche : « Ces faits et comportements observés sur notre territoire sont similaires à ceux recensés à la fin des années 1970 et qui avaient été précurseurs de la constitution du groupe Action directe, lui-même pour partie issu de la mouvance autonome. » Sont directement visés les jeunes gens de Tarnac et leur « groupe informel d'activistes d'ultragauche de type autonome entretenant des liens avec la mouvance extrémiste internationale » auquel le rapport consacre trois pages.
Dans cette pensée policière, leurs points de chute en province, dont la ferme du Goutailloux à Tarnac, deviennent des «bases logistiques arrières» et leurs contacts «une ébauche de réseau européen». «Partisans de la subversion, ils projettent de commettre des actions violentes en Europe», notent, de façon très affirmative, les RG.
Pour David Dufresne, qui révèle dans son livre une partie de ce document d'une trentaine de pages (publié ici en intégralité sauf pour trois pages, manquantes), c'est «la matrice de l'affaire de Tarnac» par ce qu'il révèle de la pensée policière.
Note des RG parisiens. « Mouvance contestataire ».
Pour ne pas être en reste auprès de la ministre de l'intérieur, les renseignements généraux de la préfecture de police de Paris (RGPP) ont également produit leur note sur « la mouvance contestataire », transmise « au cab min (cabinet du ministre) à sa demande ». Très succincte et datée du 11 juin 2008, celle-ci liste les lieux fréquentés par Julien Coupat, à Paris, Montreuil et en Corrèze. On retrouve les même tournures policières : tel bâtiment est ainsi suspecté d'abriter « une cellule conspirative visant à s'attaquer à des flux industriels (sans plus de précision) ».
Les policiers semblent disposer d'un informateur soit directement au sein du groupe, soit dans des cercles plus larges. «Il serait utile d'activer notre contact au sein de ce groupe», notent les RGPP.
Extrait du manuel de stage de la section opérationnelle de recherches spécialisées de la direction centrale des renseignements généraux (DCRG) : « Aide technique à la surveillance et à la pose des balises ».
D'après ce manuel, qui date du milieu des années 2000, la pose d'une balise GPS sur une voiture ne semble pas une mince affaire. Cette balise permettra ensuite de faciliter une filature ponctuelle, ou de reconstituer sur une longue période les déplacements d'un véhicule.
Dans l'affaire de Tarnac, les services de la sous-direction antiterroristes ont nié avoir utilisé un tel dispositif GPS sur la voiture de Julien Coupat. « La Sdat n’a pas été amenée à faire usage de dispositif "GPS" sous le véhicule Mercedes (…) les 7 et 8 novembre 2008 », dément Eric Voulleminot, patron de la Sdat dans un courrier du 26 juillet 2011 au juge d'instruction.
Mais une balise aurait très bien pu être posée par la DCRI, dont plusieurs agents suivaient également, cette nuit-là, la Mercedes de Julien Coupat, Dans le livre Tarnac, Magasin général, Joël Bouchité, ex-patron des RG, reconnaît d'ailleurs l'usage d'une balise sur une voiture de Julien Coupat lors de surveillances antérieures. Ce qui pose un problème majeur.
« Si le PV de filature s'appuie sur une balise qui n'existe pas "légalement", c'est toute la filature qui pourrait s'écrouler, note David Dufresne. Et donc, une partie essentielle de l'accusation. »
VOIR AUSSI :
Tarnac: intérêts policiers, obsessions politiques, le récit d'un scandale paru le même jour sur mediapart.fr
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