dimanche 1 février 2009

Le droit de crier là où personne ne t'entend.



Par SEB MUSSET

Samedi 31 janvier 2009, 14h15 : Règne un froid de gueux sur Paris. Je suis calé chez moi bien au chaud face à la fenêtre, plein soleil. J'ai presque chaud.

La petite famille s'est exilée. Je dispose enfin d'une journée pour me consacrer à l'écriture. L’intitulé du billet : Collaborer ou résister.

14h20 : Je reçois un SMS m'invitant à participer à la manifestation parisienne contre la politique anti-terroriste de notre monarque. Rappelons que celui-ci incarcère à discrétion tout élément (généralement jeune et militant pour une autre société) susceptible d'empêcher la nation de dormir en rond. Le cortège unitaire des 54 associations fédérées autour du comité de soutien aux inculpés du 11 novembre partira à 15h du RER Luxembourg en direction de la prison de la Santé où est incarcéré Julien Coupat.

Ce matin, malgré son dossier vide, le jeune homme s'est encore vu refuser sa mise en liberté. On ne badine pas avec les symboles. Julien Coupat est un message de propagande de la plus haute portée, une campagne publicitaire de l'état à l'intention des déviants : Soumets-toi où tu finiras enfermé ! Le plus beau dans l'histoire : Cela ne coûte au contribuable que le prix d'une pension complète en prison. A durée indéterminée, certes.

15h00 : J'abandonne l'article pour manifester et filmer puisque le week-end les chaines d'information se résument au foot, à la F1 et à Eric Zemmour*. Par chance, la semaine il n'y a pas de F1.

15h15 : A quelques encablures du rassemblement, le boulevard St-Michel est un parking à camions de CRS. Il en va de la multiplication au mètre carré des CRS comme de celle des SDF, les uns commes les autres ne génèrent aucune espèce d'émotion dans le regard des piétons qui vaquent à leur emplettes en totale décontraction.

15h30 :
Déception. A la vue du nombre de véhicules des forces de l'ordre, je m'attendais à au moins un million de déviants. Devant le Luco : ils ne sont qu'un millier à résister au froid. De Julien, il est peu question. Le comité de soutien, plutôt âgé, est visiblement débordé par le gratin anar. Voyant ma caméra, une dame, montée en car de Tulle, me colle un sticker Soutien Tarnac sur le blouson.

15 h 45 :
Menés par une fanfare, les déviants remontent la rue Gay-Lussac en marquant le territoire à coups de pétards. Le père de Julien devance le cortège en ébullition. Le profil haut, la démarche alerte, l'homme est déterminé. De par son âge et son apparence posée, il est la passerelle idéale entre la France de Drucker et celle enragée qui, dérrière lui, fait des doigts d'honneur aux CRS.

La démesure du dispositif de sécurité s’intensifie de carrefour en carrefour. Du haut de ses 40 ans de contestation urbaine, un vétéran des défilés concède désabusé : "- Ils ont bien bouclé le bordel ces enfoirés !"

Qu'a cela ne tienne, les déviants sont déterminés à troubler cette manifestation de policiers. Ils s'engouffrent dans la rue du Faubourg St Jacques figurant au top ten des moins habitées de Paris. D’ici, soyez assurés que rien ne filtrera, la moyenne d’age des rares résidents est de 80 ans. Les plus vifs ouvrent leurs fenêtres, intrigués, pour les refermer 10 secondes plus tard, incommodés par le désespoir des indigents.

Arrivée à l’intersection de La Rue Cassini et du Boulevard Arago, l’accès à la prison de la Santé est bloqué par trois camions, ils ressemblent à ceux de Soleil Vert mais en blancs (c'est moins anxiogène) et sont équipés de Karcher. Le comité d'accueil est sécurisé de la sorte à chaque embranchement du carrefour : 60 CRS en rangée compacte, 10 camions et 30 autres CRS en arrière-plan, au cas où les pétards auraient raison des bâtons. Le slogan "police partout justice nulle part" scandé sans interruption depuis une heure, prend dans ce cirque ultra-fliqué toute sa signification.

Au fond, les pompiers.

Un baroudeur de la contestation aux dents cassés crache en direction du barnum à Mam : - La vérité c'est qu'on vous fait peur !

Une vielle dame s'insurge : " - Ca y est, on y est, ils l'ont enfin leur état policier !"

La souricière va bientôt se refermer. Tout semble décidé en haut-lieu pour faire du happening anti-anti-terreur, l'opportunité de nouvelles prises de guerre. Tout est dessiné pour que la situation dégénère. Fumigènes et cannettes de Kro, les provocations fusent. J'évite une boule de pétanque.

A 16h30 : A la septième fusée me sifflant au ras des oreilles, je rejoins le flux des moins casse-cou qui remontent vers la place Denfert-Rochereau. Les attendent dans leur nasse quelques centaines de CRS supplémentaires. Je retrouve la dame du sticker qui a du mal a déployer sa banderole artisanale dans les bourrasques au pied de la statue du lion.

Un rodé du lancé de pavé lui conseille : "- Faudra penser à trouer vos banderoles la prochaine fois Madame ! "

L’armée républicaine qui, elle, connait son métier, termine de s'équiper pour la branlée finale. Frigorifié, dépité par l'euthanasie policière d’une manifestation qui ne peut atteindre ses buts (se faire entendre du plus grand nombre et de Julien), constatant que dans ce cadre des mots sur le réseau ont plus de portée que des cris dans des rues désertes, je m'éclipse pour écrire que ce traitement est odieux en démocratie, que le droit de manifester est ici réduit à sa portion congrue, que devant un tel déploiement de force contre le peuple, chaque individu sera contraint à un moment ou à un autre de choisir entre deux options : Obtempérer ou se révolter.

17h00 : A 300 mètres de la marmite aux déviants, le quartier est toujours bouclé, la circulation encore interdite. Je marche au milieu du boulevard Raspail, vide. Un nouveau convoi de 20 camions accélère vers Denfert. Indice que nous sommes en guerre : Il n'y aura bientôt plus que la Police et les CRS pour faire turbiner l'industrie automobile du pays. A mi-Boulevard, on ne voit plus que le filament bleu électrique formé par les gyrophares.

Pas de déviants, plus de véhicules, seul élément notable : Une affiche publicitaire rétro-éclairée pour une exposition du passé plus que parfait : Paris, sous l’Empire des crinolines, 1852-1870

La vie parisienne ne reprend que 500 mètres plus bas, sur le Boulevard Montparnasse au niveau de La Coupole.

Un gentil policier fait la circulation. D'une voix douce et sans préciser pourquoi, il invite les automobilistes à contourner le quartier, ce qu'ils font en contenant leur agacement.

Deux jeunettes à fort pouvoir d'achat me coupent le chemin en piapiallant shopping. L'une d'elle détourne la tête : " - Tiens j'ai vu une fusée bleu là-bas."

"- Arrête la fumette !" Lui soupire l'autre en fouillant dans son faux sac Prada.

Dieu que j'ai froid.



MANIFESTATION CONTRE L'ANTI-TERRORISME - 01/2009



* Ce week-end sur I-Télé et BFM : Journée spéciale "Vendée Globe" sur l’une et journée spéciale « une semaine après la tempête Klaus, les assureurs jouent-ils le jeu ? » sur l'autre.


Par SEB MUSSET





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