mardi 1 mars 2011

Les sept ratés de l'affaire de Tarnac







Article paru dans l'édition papier des Inrockuptibles du 20 février 2011,
complétant la première version web reprise ici
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Rebondissement dans l’affaire de Tarnac : Julien Coupat et Yldune Lévy vont porter plainte contre la police pour faux et usages de faux en écriture publique, subornation de témoin et interceptions illégales.

Un nouveau round commence dans le combat qui oppose le “groupe de Tarnac”, mis en examen pour des actes terroristes, aux policiers et juges chargés de l’enquête. Après avoir demandé la requalification des faits en simples sabotages - refusé en mai 2009 - l’annulation de pièces de la procédure - refusé en octobre 2010 - et la réalisation de plusieurs actes d’enquête qui pourraient les disculper - refusé ou ajourné - les mis en examen passent à l’étape supérieure.

Selon les informations recueillies par Les Inrocks, ils vont déposer trois plaintes (contre X mais visant clairement les policiers de la sous-direction antiterroriste, Sdat) pour interceptions illégales, subornation de témoin et surtout faux et usages de faux en écriture publique.

Julien Coupat et Yildune Lévy espèrent ainsi démontrer devant la justice que le procès-verbal de leur filature, dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008, et les versions policières successives tendant à le contredire plutôt qu’à le confirmer, constituent une manoeuvre de la Sdat pour affirmer leur culpabilité sans preuve.

Cette nuit-là, une vingtaine d'agents de la Sdat et de la DCRI suivent une Mercedes occupée par deux "membres de la mouvance anarcho-autonome", en Seine-et-Marne. Ils voient le couple s'arrêter dans une pizzeria, dormir dans la voiture à Trilport puis reprendre la route avant de stationner près d'une voie ferrée sur la commune de Dhuisy. Puis, leur véhicule retourne à Paris. Au petit matin, près du lieu où s'était garée la Mercedes, le passage du premier TGV provoque une gerbe d'étincelles qui attire l'attention des policiers. Les suspects sous surveillance ont-ils commis un acte de sabotage ?

Sur la foi du procès-verbal de filature, désormais connu sous le nom de "PV 104", Julien Coupat et Yldune Lévy sont arrêtés, mis en examen et écroués pour direction d'une association de malfaiteurs à vocation terroriste. Il n'y a eu ni morts ni blessés, aucun train n'a déraillé. Ni photos sur les lieux, ni traces ADN, ni aveux ne viennent prouver leur culpabilité. Deux ans et demi après l'ouverture de l'enquête, dix personnes sont mises en examen.

Le récit de cette nuit varie selon les policiers interrogés et les contradictions apportées par la défense. Le déroulement de ces quelques heures reste si flou que le juge d'instruction a exigé des policiers, un an après les faits, qu'ils s'expliquent sur le compte-rendu. Ils ont rendu leur rapport en juin. "Les nouvelles pièces d'exécution, qui devaient 'préciser' certains points incohérents de l'enquête de police, n'ont ajouté que de nouvelles invraisemblances", estiment les avocats des mis en examen.

Montage policier ou travail de cochon ? En tout cas, le résultat décrédibilise largement le professionnalisme de la police antiterroriste. Les impossibilités temporelles, incohérences et questions sans réponses ont donc décidé Julien Coupat et Yldune Lévy à porter plainte pour faux et usages de faux en écriture publique. Ce crime, s'il est commis par des personnes dépositaires de l'autorité publique, peut être puni de quinze ans de prison et 225 000 euros d'amende. Ils portent aussi plainte pour subornation de témoin : une connaissance de Coupat avait anonymement témoigné contre eux avant de se rétracter, parlant de pressions policières. Une plainte pour des écoutes illégales de l'épicerie de Tarnac, effectuées avant le début de l'enquête préliminaire et découvertes par hasard par un agent de France Télécom, complète le tableau.

1. Une nouvelle preuve opportune

Quelques jours avant le dépôt des plaintes dont nous avons eu connaissance, Le Nouvel Obs se fait l’écho d’une nouvelle piste, opportunément communiquée par les enquêteurs. En février 2010, la brigade fluviale fouille la Marne, à 20 kilomètres des voies TGV. Elle y trouve deux tubes en PVC longs de deux mètres qui, emboîtés l’un dans l’autre par un manchon recouvert d’adhésif, aurait servi de perche pour hisser le crochet sur la caténaire.

Pas d’ADN, des “éléments matériels” bien tardifs, peu importe : selon la police, le couple se serait débarrassé de ces tubes dans la rivière lors d’un arrêt sur la route du retour. Plusieurs questions demeurent : pourquoi fouiller la Marne plus d’un an et demi après les faits ? Comment attribuer à Julien Coupat, qu’aucun policier n’a vu sortir les perches et les jeter à l’eau, l’achat en espèces de ces objets, lors d’un instant où il aurait échappé à la surveillance ? Pourquoi la police ne mentionne-t-elle que maintenant l’existence d’une balise GPS sur la Mercedes, dispositif illégal s’il n’est pas autorisé par un juge ?

2. Un témoin sous pression ?

Alors que les saboteurs présumés sont en garde à vue, en novembre 2008, la Sdat procède à l’audition d’un témoin sous X, dont la presse révèle plus tard l’identité : Jean-Hugues Bourgeois, un éleveur bio du Puy-de-Dôme. Dans sa déposition, il décrit le groupe de Tarnac comme “un groupe à caractère sectaire dont les membres ont été endoctrinés par Julien Coupat. […] Ce dernier souhaite le renversement de l’Etat par le biais d’actions de déstabilisation qui auraient pu aller jusqu’à des actions violentes”.

Un mois plus tard, entendu sous sa véritable identité, il se rétracte. Dans un entretien accordé à TF1 en novembre 2009, Bourgeois explique que sa déposition sous X a été sollicitée par la Sdat, et qu’il a signé une déclaration préparée à l’avance. Ces éléments motivent la plainte de Julien Coupat et Yldune Lévy pour subornation de témoin, délit passible de trois ans de prison et 45 000 euros d’amende.

3. Une reconstitution bâclée

Les avocats du groupe de Tarnac, qui pointent depuis le début de l’enquête les “invraisemblances” et les “contradictions” du PV 104 (signé par le lieutenant Mancheron) puis des compléments d’information (signés par le lieutenant Mancheron et le capitaine Lambert), demandaient à cor et à cri une reconstitution : rejouer cette nuit, en présence des juges d’instruction Thierry Fragnoli, Edmond Brunaud et Yves Jannier, des policiers présents à cette date, vérifier le timing, les positions de chaque véhicule, les trajets.

Si les effectifs de police comptaient six fonctionnaires de la Sdat “assistés d’un groupe de surveillance de la DCRI, soit une vingtaine de fonctionnaires au total, (…) munis d’une douzaine de véhicules automobiles, de motos banalisées et de véhicules d’observation”, placés “aux points de passage obligés”, on n’en sait pas plus. Malgré la demande du juge de préciser l’organisation de la filature, la Sdat invoque des “techniques de surveillance policière qui doivent rester confidentielles”.

La reconstitution a eu lieu dans la nuit du 13 au 14 janvier 2011. Convoqués à Dhuisy à 2 heures du matin, les avocats s’aperçoivent que les juges sont à Trilport, à 30 kilomètres de là. Il faut les rejoindre. A leur arrivée, les juges décident de se déplacer à Dhuisy. Il est 3 heures 30, une heure et demie d’allers-retours et de temps perdu. Il ne reste plus qu’une demi-heure à passer sur les rails avant que la SNCF ne doive les réinvestir.

Tout le monde est tendu. Les juges refusent de noter les observations des avocats au procès-verbal, puis cèdent à force d’engueulades. Les policiers sur place ne sont pas les mêmes que ceux de 2008. Ceux-là ont participé à une mise en situation à huis clos, dix jours avant, avec les juges mais sans les avocats. “Une répétition générale destinée à vérifier quelles opérations pouvaient s’avérer gênantes pour l’accusation” selon la défense, qui dénonce dans une lettre aux juges d’instruction leur “inacceptable partialité” et “l’absence d’instruction à décharge de ce dossier”. Ils demandent une nouvelle reconstitution.

4. Un piéton sur les voies SNCF ?

Alors que certains procès-verbaux parlent d’un véhicule stationné près des voies, d’autres évoquent un piéton aperçu sur les voies. Le lieutenant-colonel Gosset, un gendarme chargé de l’enquête sur les dégradations, dit s’être entretenu avec un agent de la Sdat. Celui-ci lui aurait affirmé “avoir suivi et observé un individu qui s’est stationné à l’intersection entre la D23 et la LGV Est pendant une vingtaine de minutes entre 4 heures et 4 heures 20. Cette personne a accédé à l’emprise sécurisée de la SNCF sans qu’il puisse déceler ses agissements”.

Dans le PV 104, pas d’allusion à un piéton. Les dangers du téléphone arabe, explique la Sdat, qui désavoue le gendarme : à force d’informations répétées et déformées, le véhicule stationné serait devenu un piéton dans sa bouche. La Sdat ne développe pas d’analyse sur la seconde partie de la phrase, selon laquelle le piéton-véhicule a pénétré sur les voies de chemin de fer. Ni n’explique comment Julien Coupat ou Yldune Lévy, surveillés par vingt policiers spécialisés, auraient pu, sans être vus, sortir de leur voiture, franchir une barrière de deux mètres de haut et, une fois sur les voies avec leur lampe frontale, hisser un fer à béton à l’aide d’une perche de cinq mètres jusque sur la caténaire.

5. L’emplacement de la voiture de Coupat

Où était garée la Mercedes de Julien Coupat de 4 heures à 4 heures 20 ? Depuis le début de l’enquête, les policiers la situent à un emplacement bien précis : une voie de service de la SNCF, juste au pied d’un pont ferroviaire.

Or, dans les éléments d’information complémentaires transmis au juge en mai dernier, la Sdat situe la voiture sur une autre voie de service, à une centaine de mètres du pont. Pour les avocats, “le nouveau positionnement du véhicule est en totale contradiction avec ce qui a été écrit et soutenu par l’ensemble des acteurs de la procédure”. D’autres actes d’enquête placent la Mercedes “sous le pont” et même “sur le pont”. Yldune Lévy et Julien Coupat, eux, ont toujours nié s’être garés près des voies.

6. Une recherche d’indices hasardeuse

Une fois la Mercedes partie, micmac sur le comportement des policiers. Selon le premier PV, ils se garent à sa place. D’après la nouvelle version, ils se placent du côté opposé, pour “ne pas polluer les lieux où pouvait avoir été commise une infraction”. Pourtant, le capitaine Lambert écrit : “Aucun gel des lieux aux fins de préservation des traces et indices n’a été effectué.”

Où sont garés les policiers à cet instant ? Avec combien de véhicules ? Un seul selon la gendarmerie, deux selon le capitaine Lambert. Pourquoi ne fouillent-ils pas la voie d’accès pour trouver d’éventuelles traces du passage de Coupat ? Une équipe de la Sdat se rend ensuite sur les voies, à la recherche d’éventuels indices “en enjambant le grillage”. Deux mètres de haut à enjamber, sans doute avec l’aide de bottes de sept lieues…

7. Police et don d’ubiquité

Lorsque Julien Coupat quitte l’abord des voies SNCF, une partie des policiers le suit. Les fonctionnaires restés à Dhuisy constatent “une gerbe d’étincelles accompagnée d’un grand bruit sec” à 5 heures 10, au passage du premier TGV. Selon le PV 104 et leurs explications ultérieures, ils en rendent immédiatement compte à leur hiérarchie. A 5 heures 25, tous les policiers quittent les lieux en direction de Trilport, afin de fouiller une poubelle dans laquelle ils ont vu Julien Coupat jeter des objets la veille. Ils arriveraient sur place en cinq minutes, c’est-à-dire qu’ils auraient parcouru le trajet à 324 km/h en moyenne… Dans la poubelle, les policiers supersoniques trouvent des horaires SNCF et un emballage de lampe frontale.

Un relevé de bornage téléphonique fourni par les policiers soulève pourtant le doute. Alors qu’ils sont tous censés avoir quitté Dhuisy, le relevé montre que des policiers ont passé des appels depuis cette commune jusqu’à 6 heures du matin.

Camille Polloni






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