Par Pierre Marcelle, paru dans Libération le 05 juin 09
Alliot-Marie en bafouillant
Quand, l’autre jeudi, au terme, si je compte bien, de cent quatre-vingt dix-sept jours d’incarcération, Julien Coupat quitta la prison de la Santé, le sentiment général - tel du moins que la presse le restitua (à moins qu’il fût surtout celui de gens de presse) - fut d’un lâche soulagement. Comme si une si longue détention et le régimede facto extrêmement strict de son contrôle judiciaire, ce n’était rien.
Pourtant, la ministre qui parle (Alliot-Marie) ni celle qui se tait (Dati) n’auront su se défaire de cette contradiction: soit Coupat reste un présumé «terroriste» et il ne convenait pas de le libérer, soit le dossier reste aussi vide qu’au premier jour, et il ne convenait pas de l’embastiller. Place Beauvau, la préposée au rendement sécuritaire fait à peine sourire en bafouillant une «séparation des pouvoirs»dans une langue de bois dont on fait des pipeaux, mais, faute de contradicteurs (ils étaient occupés, paraît-il, à préparer un scrutin européen, ou à la messe, pour communier dans la déploration d’un accident aérien), le bon vieil adage selon lequel «il n’y a pas de fumée sans feu» fait son sale office. Et c’est tout juste si la spectaculaire sortie de geôle de Coupat «en catimini et par une porte dérobée» (les journaux), ne lui sera pas comptée à charge…
Selon les moins malveillants des plumitifs de la place, le terme de sa détention constituerait une «victoire» pour la démocratie. Avec des victoires comme celle-là, apprêtons-nous à subir longtemps encore l’arbitraire judiciaire et policier.
Julien Coupat en «pas sympa»
C’est que, murmure une doxa très médiatique, Coupat ne serait pas «sympathique». Assurément ! On dit que le capitaine Dreyfus ne l’était pas non plus. Circonstance aggravante, Coupat est un «intellectuel» Depuis bien avant que l’homme qui gausse la Princesse de Clèves ne devienne chef de l’Etat, le terme est perçu comme dépréciatif. Sous lui, il est quasiment infamant. Pire : Coupat, qui parle quatre langues, n’entretient pas, pour les conversations avec les journalistes, un goût immodéré ; son étude est austère, et «opaque, secrète, hautaine» (1), l’aventure intellectuelle qui, via la revue Tiqqun, structura à l’orée du siècle sa réflexion.
Car c’est bien dans Tiqqun que, dès 2001, s’en énonçait l’essentiel : qu’«il suffit de peu de choses pour être identifié par les citoyens anémiés de l’Empire comme un suspect, un individu à risque». Autre façon de décliner la réponse que fit à ses accusateurs un jeune communiste arrêté durant la guerre d’Espagne (cité en avril, à propos de «l’affaire Tarnac», par le philosophe Giorgio Agamben) : «Je n’ai jamais été un terroriste, mais ce que vous croyez qu’un terroriste est, je le suis.»
Les salariés de Continental en «Conti»
Amère victoire, donc, que cette «libération» de Coupat. A fortiori à l’heure où, sur le même mode d’un moindre mal qui prétend se faire passer pour un bien, s’évoque la «victoire» des licenciés de l’entreprise Continental de Clairvoix - «les Conti», comme on dit, sans seulement se rendre compte (veux-je croire) que, ce faisant, on réduit l’identité de l’exploité à l’appellation sociale de l’exploiteur.
Le site fermera en 2011, mais les 1 120 salariés qu’il laissera sur le carreau ont arraché une prime «extralégale» de 50 000 euros par tête de mort. J’aime énormément cette formulation de prime «extralégale». Elle signifie, à l’évidence, que les actionnaires qui la leur verseront le feront hors la loi ou les conventions régissant l’accompagnement des licenciements, fermetures de site, délocalisations, etc.
Il va sans dire que, plus que jamais depuis que le capitalisme a été «moralisé», les dividendes desdits actionnaires n’ont jamais été aussi «légaux».
Guy Môquet en éternel retour
Presque deux années qu’il n’en finit pas, le calvaire judiciaire de Maria Vuillet qui, depuis qu’elle manifesta, à l’automne 2007, contre la récupération mémorielle, par le sarkozysme triomphant, du jeune fusillé communiste Guy Môquet, voit contre elle s’acharner le Parquet. Relaxée l’an passé du chef d’outrage contre le préfet Lacave, elle a vu, le 10 avril, la cour d’appel ne pas se prononcer au fond, et convoquer le policier dont le procès-verbal établit en première instance que le préfet plaignant avait faussement témoigné. Mercredi, l’avocat général, arguant d’une «mauvaise appréciation» du tribunal, a réclamé, de Maria Vuillet, l’infirmation de sa relaxe, et à elle, 1 000 euros d’amende. Délibéré au 9 septembre.
(1) Ces mots et l’essentiel des informations et citations qui suivent, relatives à la pensée théorique de Coupat, sont tirés de l’enquête publiée dans le Nouvel Observateur du 23 mai, et intitulée «Quand Julien Coupat animait Tiqqun». Sans doute le papier le plus consistant qu’il nous ait été donné de lire sur «l’affaire» depuis son avènement.
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