mardi 14 avril 2009

Alain Bauer: "Nicolas Sarkozy est mon ami. Pas mon patron"

paru sur www.lepost.fr


Je connais Alain Bauer, depuis plus de 20 ans.

Entouré d'un halo de mystère, tant en raison de son influence que de ses activités en matière de sécurité, Bauer suscite au moins autant de fantasmes que d'inquiétudes.

Les craintes qu'il inspire sont-elles fondées ?

À vous de vous forger votre opinion, en lisant ses réponses, plutôt directes, à propos des principales critiques qui lui ont été faites, ces derniers temps...

Détention de Julien Coupat, "Comité invisible", MAM, Sarkozy, CNAM... Le patron de l'Observatoire national de la délinquance face aux polémiques.



Question : Tu es mis en cause, sur pas mal de sites internet (par exemple ici, par Serge
Quadruppani, sur Rue89
ou bien là, par Jérôme Leroy, sur Causeur.fr ). T'es reprochée, notamment, l'arrestation de Julien Coupat et de ses amis. Es-tu responsable de ces interpellations ?



Alain Bauer : "Depuis plusieurs semaines je lis, en effet, avec amusement ou consternation, des articles ou des commentaires, sur mon rôle supposé dans l'interpellation de Monsieur Coupat et de ses amis. J'assume la responsabilité d'avoir lu un livre - L'insurrection qui vient - que certains ont la responsabilité d'avoir écrit et d'autres d'avoir publié. Ni plus ni moins."



Question : Justement, as-tu signalé, voire transmis, ce livre du Comité invisible, L'insurrection qui vient, aux autorités ?

AB : "La lecture de L'insurrection qui vient, signé par le Comité invisible, m'a parue d'un très grand intérêt. J'ai signalé et offert cet ouvrage à de nombreux journalistes et à un responsable policier, en soulignant son importance et sa qualité."


Question : As tu ensuite évoqué le sujet avec la ministre de l'Intérieur ? Je veux dire avant l'interpellation de Julien Coupat et ses amis ?

AB : "Je n'ai jamais eu, avant leur interpellation en tout cas, l'occasion d'en discuter avec Michèle Alliot Marie ou quelque autre responsable policier. J'ai d'ailleurs appris à la lecture des journaux que leur surveillance aurait débuté bien avant la parution du livre en question. Et donc ma "distribution" de cet ouvrage."


Question : D'après toi, sont-ils les auteurs du livre ?

AB : "À ce jour, nul ne sait véritablement qui a écrit cet ouvrage. Je n'en sais rien non plus. J'ai appris l'existence de Monsieur Coupat, présumé innocent, après son interpellation."


Question : Que penses-tu de l'audition, comme témoin, par les enquêteurs de la sous-direction antiterroriste (SDAT), d'Éric Hazan, le patron de la maison d'édition - La Fabrique - qui a publié le livre ? N'est-elle pas plus que préoccupante en termes de libertés publiques ?

AB : "Elle est surtout inutile. Comme l'était celle des responsables de Rue89, après la mise en ligne d'un "off", précédant un entretien télévisé du Président de la République, sur France 3. La législation fixe un cadre, souvent contesté d'ailleurs, à la diffamation, la propagation de fausses nouvelles, l'appel au racisme... Notre pays légifère beaucoup sur ces questions ; souvent trop. Je suis plutôt du côté du principe défendu par Voltaire : "Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrais pour que vous puissiez le dire". Ceci exprimé, je ne pense pas que la France soit prête à une culture du 1er amendement américain, permettant une liberté d'expression totale (apologie du nazisme, du racisme, de l'antisémitisme...)."


Question : Pourquoi la parution du livre signé du Comité invisible t'avait-elle semblée si importante ?

AB : "Parce que la lecture de L'insurrection qui vient, en complément d'autres ouvrages d'une qualité moindre (Introduction à la guerre civile), rappelle les prémisses d'une période marquée par l'apparition des ancêtres ou des préfigurations d'Action Directe ou des premières Brigades Rouges, qui ne s'en prenaient pas aux personnes mais aux institutions de l'État et de l'économie."


Question : Tu sembles donc sous-entendre qu'il faudrait craindre un passage à la lutte armée !? Tu ne crains pas de contribuer à rendre le climat encore plus sécuritaire ?

AB : "Je pense que le sujet mérite d'être exploré a l'aune, par exemple, de l'aventure du grand éditeur italien Giangiacomo Feltrinelli, mort avec sa bombe devant un pylône de ligne à haute tension, en Italie, au début des années 70. Le drame de la quasi disparition de la gauche de gouvernement comme alternative crédible ouvre un espace. Heureusement l'option Besancenot en limite le champ. Comme semble l'avoir compris Jean-Marc Rouillan."


Question : On te reproche fréquemment de mélanger les genres. D'être à la fois un criminologue et un indicateur de police de haut vol ; mais aussi un conseiller du "Prince" (Nicolas Sarkozy), très influent...?

AB : "Je suis criminologue. Les criminologues ne sont ni des policiers, ni des magistrats, encore moins des indicateurs. Leur rôle n'est ni d'interpeller, ni de juger des criminels ou présumés criminels. Ils sont là pour les comprendre, analyser ce qui change, évolue, mute. Le "Prince", sous toutes ses formes, reçoit intellectuels, journalistes et autres personnalités régulièrement pour avoir une idée de ce qui se passe hors du filtre de la pensée unique du système qui le "protège". Je n'ai rejoint politiquement sur des idées qu'un seul homme : Michel Rocard. J'ai eu l'occasion de dialoguer au Ministère de l'intérieur avec Gaston Defferre, Pierre Joxe, Paul Quilès, Charles Pasqua, Jean Louis Debré, Jean-Pierre Chevènement, François Baroin, Dominique de Villepin, Daniel Vaillant et Michèle Alliot-Marie, sur de nombreux sujets portant sur la police ou la criminalité. Il est vrai que la qualité du dialogue avec Nicolas Sarkozy a permis un travail plus approfondi, notamment sur la mise en place des enquêtes de victimation permetttant de compléter et d'éclairer la statistique policière. Il est devenu mon ami. Pas mon patron. Et je n'ai toujours pas adhéré à l'UMP."

Question : Et les attaques concernant la partie "renseignement" de tes activités ?

AB : "Les criminologues enseignent, publient, éditent, communiquent, répondent aux sollicitations des médias. Ils ne fournissent pas de renseignements. Ils analysent des phénomènes et les rendent publics. Ce qui ne met pas à l'abri de mises en scène médiatiques contestables. Comme ce fut le cas récemment lors du journal télévisé de France 2, mélangeant allègrement Black Bloc, TGV et publications, ainsi qu'un extrait d'un entretien avec moi qui ne devait porter que sur l'arrière plan historique."


Question : Est-il vraiment normal que Julien Coupat et ses amis soient accusés de terrorisme ?

AB : "Ma position permanente vise à la modification des textes en vigueur sur la répression du terrorisme, notamment par l'adjonction dans l'article 421-1 du code pénal de la mention exclusive "en vue de porter atteinte à la vie humaine". Le dispositif existant permet de tout couvrir car il n'existe pas de définition internationalement acceptée du terrorisme. Le terroriste des uns est souvent le résistant des autres. De ce fait il y a un certain flou dans le dispositif qui a près de 25 ans et qui n'a été modifié par personne. Un peu comme pour le "délit de solidarité" ('article 622-1) du code pénal qui existe depuis 1945 et ne soulève d'émotion que depuis récemment. Il y a un travail pour le législateur et il est important que les modifications soient apportées pour clarifier les choses."


Question : La détention provisoire de Julien Coupat te semble-t-elle légitime ? Et même tout simplement légale ?

AB : "Seul le magistrat instructeur, au vu de son expérience et de la qualité du dossier, pourrait répondre à cette question. Ce qui pose problème à l'opinion est le traitement différencié des différentes personnes mises en cause dans cette affaire. La persistance des instances d'appel à maintenir la détention donne un éclairage tout particulier. Ceci posé, les règles de la détention provisoire (conserver les preuves et/ou les indices matériels, empêcher une pression sur les témoins ou les victimes, éviter une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses complices, protéger le mis en examen, mettre fin à l'infraction et éviter son renouvellement, éviter la fuite du détenu, préserver l'ordre public) ne semblent s'appliquer que partiellement au vu des pièces de l'instruction rendues publiques par les défenseurs."


Question : Tu as récemment obtenu une chaire de professeur de criminologie au CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers). Est-ce par pur copinage, comme l'avance Philippe Cohen sur le site de Marianne) ? As-tu vraiment la qualification requise ?

AB : "Contrairement à ce qui a été beaucoup dit, le processus de recrutement au CNAM a compté trois phases. Une délibération sur l'intérêt d'une chaire de criminologie (adoptée à une très large majorité), une délibération sur ma nomination à cette chaire par l'ensemble des professeurs titulaires du CNAM (adoptée à la majorité), une délibération du conseil d'administration sur l'ensemble du processus (adoptée à la majorité).

Ce sont mes pairs qui ont décidé de ce recrutement. Pas le gouvernement.

De plus, le CNAM a été inventé pour répondre à un problème très français, le rejet des disciplines nouvelles. Ce fut le cas avec les langues étrangères ou la science politique, avec les sciences et techniques, avec la criminologie. Tout ce que l'université traditionnelle rejette a pu trouver sa place grace à des créations, à côté du système ancien, puis par leur développement.

Au vu de mes publications, de mes enseignements à l'IEP, puis à Paris V, Paris II, Paris I, à New York ou Pékin, de mes conférences à Stanford ou Cambridge, j'ai été jugé apte par mes collègues. C'est d'ailleurs ce qui a hystérisé mes adversaires, opposants à une discipline - ce qui a stupéfié celles et ceux qui l'enseignent, un peu partout dans le monde - ou à une personne. Les enseignants du CNAM ont tranché."


Propos recueillis par guy birenbaum.

(Source:
Le Post.fr)



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