lundi 13 juin 2011

[Lucioles n°3] Trois compagnons [ont été] arrêtés à Belleville et incarcérés






[Quelques éléments sur ces arrestations avaient été repris
ici.
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Extrait de Lucioles n°3 - juin/juillet 2011 - téléchargeable .
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Trois compagnons arrêtés à Belleville et incarcérés
En juin 2008, des sans-papiers foutaient le feu à leur taule. La plus grande prison pour étrangers de France, le centre de rétention de Vincennes, partait en fumée, nous en avons déjà parlé dans ces pages. Une dizaine de retenus, choisis « au hasard » avaient servis d’exemple lors d’un procès dont l’issue ne laissait place à aucune surprise (des peines allant de 8 mois à 3 ans de prison ferme).

Depuis l’incendie, des dizaines et des dizaines d’actes de solidarité à travers la France ont entaché le calme et le silence que voulait imposer cette justice de paix : tracts, affiches, déambulations sauvages et bruyantes, sabotages de distributeurs de banques qui balancent leurs clients sans-papiers aux flics, poses de banderoles, attaques incendiaires, boutiques défoncées et occupations ravageuses des collabos de la machine à expulser et de leurs locaux ainsi que de nombreux tags et autres formes diverses et variées.
S'enclenche alors une campagne de presse qui nous parle d'une mystérieuse « Mouvance Anarcho-Autonome Francilienne » (MAAF) décrite telle une organisation terroriste structurée, et qui serait responsable de toutes ces attaques. Bien sur il s'agit d'un montage policier, personne ne se réclame d'une telle mouvance à notre connaissance. Cette grotesque catégorie imaginaire ne sert en fait qu'à préparer le terrain pour la répression et foutre au trou des personnes qui luttent pour neutraliser la lutte.

La première réponse de l'Etat arrive en février d'abord, puis en juin 2010, lorsqu'une dizaine de personnes sont perquisitionnées et arrêtées par la Section Anti-Terroriste de la Brigade Criminelle du 36 quai des Orfèvres dans le cadre d’une instruction ouverte autour de cette lutte sans médiation contre la machine à expulser et menée aujourd'hui par la juge Patricia Simon. La plupart des personnes sont mises en examen, les appartements fouillés, ordinateurs, téléphones, bouquins ou vêtements sont saisis par les flics. Malgré les refus de signalisation, l'ADN est souvent pris de force ou prélevè sur des brosses à dent et des sous-vêtements. Personne n'est incarcéré et tout le monde ou presque sort avec un contrôle judiciaire sur le dos.

En janvier 2011, trois compagnon/nes se font prendre en pleine rue par la BAC dans le quartier de Belleville. Ils sont accusés d'avoir apposés sur les murs de Belleville des tags solidaires avec les insurgés de Tunisie et d'ailleurs: « Alger-Tunis-Partout Insurrection », « Nique la police », « Les prisons en feu, la Croix-Rouge au milieu », « Feu aux états », « Mort au pouvoir », « Crève L'Etat », « Guerre sociale », « Vive l'anarchie », « Vive la révolte » ou encore « Comme en Algérie, feu aux flics » (selon l'enquête des flics). Lors des perquisitions chez eux, sont présents des flics anti-terroristes, des RG de la DCRI ainsi que des flics du XXe, visiblement intéressés par ces anarchistes du Nord-Est Parisien. Les trois seront récupérés par la Section Anti-Terroriste pour finir leur garde à vue par une incarcération préventive: Camille est emprisonnée à la prison pour femme de Fleury-Merogis tandis qu'Olivier et Dan sont eux incarcérés à la prison de la Santé. Camille, qui sera libérée une semaine plus tard, est maintenant assignée à résidence avec interdiction de voir ses amis et compagnons et de sortir de chez elle (sauf pour travailler ou étudier). Dans le même temps un camarade, lui aussi mis en examen en 2010, est arrêté à Bagnolet, puis placé en détention à Fleury-Mérogis où il restera une dizaine de jours.

Les contrôles judiciaires de Dan et Olivier leur interdisaient d'entrer en contact, puisqu'ils étaient déjà tous les deux accusés (lors des rafles de 2010) notamment de « destructions ou dégradations par l'effet d'une substance explosive, d'un incendie ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes », c'est-à-dire d'avoir bouté le feu à des distributeurs de banque, mais aussi individuellement d'autres faits de dégradations (tags sur et dans des banques, ravages chez des collabos de la machine à expulser comme Air France, Bouygues etc.). Ils sont donc incarcérés pour tout cela et notamment sous prétexte que le tag est une «forme minimale d’action directe » et qu’ils ne respectaient pas leur contrôle judiciaire...

De nombreuses actions, rassemblements, discussions et autres initiatives ont lieu en solidarité avec eux et pour continuer à poser la question des prisons pour étrangers et des frontières (voir quelques brèves dans ce numéro).

Après trois mois de prison préventive à la maison d'arrêt de la Santé, les deux sont sortis à la mi-avril avec un nouveau contrôle judiciaire: interdiction de se voir, pointage toutes les semaines chez les flics, et 2000 euros à payer chacun pour « frais de justice » et le «dédommagement des éventuelles parties civiles »... Cette somme est mensualisée, c'est à dire qu'ils doivent payer 200€ chacun par mois jusqu'à ce que le compte soit bon, la carotte étant que s’ils ne payent pas chaque mois, ils seront réincarcérés. Des initiatives de solidarité sont d'ores et déjà prévues pour assurer un soutien financier afin de leur éviter un autre passage par la case prison. On pourra écrire à libertepourtous@riseup.net pour faire part de nouvelles initiatives.

Ce n'est ni la première ni la dernière fois que l'Etat essaye d'imposer la résignation ou la prison à des antiautoritaires, que ce soit sous le prétexte de la lutte anti-terroriste ou non. Parce que nous partageons le désir de liberté qui est le leur et la lutte pour un monde débarrassé des frontières et de tous les rapports sociaux qui nous enferment, ne laissons personne seul face à cette alternative dégueulasse. La lutte contre la machine à expulser à travers la France, l'Europe et ailleurs est une lutte à forte dimension collective, et l'Etat veut désormais faire payer ces deux camarades en espérant ainsi les isoler du reste de la lutte.

Ci-après une affiche que vous avez peut être déjà croisée sur les murs du quartier quelques jours après que les trois de Belleville furent incarcérés :







TERRORISATION : LA PEUR COMME ARME ET COMME MARCHANDISE




Texte de Claude Guillon en date du 23 mai 2011, lu ici, sur-titré "Rigouste s’affirme - Quadruppani revient !..." et sous-titré "...au secours !"

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Déjà remarqué comme auteur de L’Ennemi intérieur. La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine (La Découverte, 2009), Mathieu Rigouste vient de publier chez Libertalia, dans la même collection « À boulets rouges » que La Terrorisation démocratique, un essai très complémentaire du mien.

L’auteur y traite en détail d’un aspect que je n’ai fait qu’évoquer : Les Marchands de peur. Il est sous-titré : La bande à Bauer et l’idéologie sécuritaire. Il démontre notamment comment un certain nombre de personnages, tels Alain Bauer et Xavier Raufer, sont parvenus à maîtriser les deux « manettes de commande » de la production et de la vente de peur. D’une part ils occupent des postes dans des institutions ad hoc et des médias, au sein desquels ils théorisent la fabrication des menaces, extérieures ou intérieures, qui sont censées justifier un arsenal juridique (que j’ai analysé) et militaro-policier ; d’autre part, ils vendent directement, aux entreprises ou aux collectivités locales, leur « expertise » en matière de « sécurité ».

L’immense avantage de ce système est de s’auto-alimenter, une fois lancé. « En l’occurrence, c’est bien la sécurisation qui fait augmenter le “sentiment d’insécurité”. Ainsi, plus on déploie de policiers dans une zone, plus se répand l’idée que la zone est “à risques”. » (p. 20)

Fidèle au « cahier des charges » de la collection, le livre de Rigouste est facile à lire, court (150 p.) et bon marché (8 €).

Hélas !

On aimerait pouvoir attribuer les mêmes qualités au livre de Serge Quadruppani intitulé La Politique de la peur (Seuil, coll. « Non conforme »). Certes facile à lire (mais l’auteur avait habitué son lectorat à une écriture, ici absente), et correctement documenté, l’ouvrage est plus long d’un tiers et plus de deux fois plus cher (la remarque vaut dans une comparaison avec le livre de Rigouste comme avec le mien).

J’avais cité en bibliographie le premier livre de Quadruppani sur la question (L’Antiterrorisme en France, ou la terreur intégrée : 1981-1989, La Découverte, 1989). Il cite honnêtement La Terrorisation, à trois reprises, dans La Politique de la peur.

Si les bonnes manières se trouvent ainsi heureusement illustrées de part et d’autre, exercice méritoire de la part de gens qui ne se saluent plus depuis quinze ans, il était un motif particulier d’attendre l’ouvrage de Quadruppani. Son livre de 1989 lui donnait une légitimité incontestable sur le sujet, mais le fait de publier après La Terrorisation, paru en 2009, présentait évidemment une difficulté. Pour le dire rapidement : il fallait faire visiblement mieux, ou au moins aborder le sujet, identique, d’une autre manière.

Le second moyen est utilisé par Quadruppani quand il évoque l’affaire Battisti et la situation en Italie. Quant à savoir si cela justifie la longueur du livre, le lecteur en jugera. Pour ce qui est du premier moyen, l’auteur n’avait pas hésité à affirmer, dans un article publié sur le site Article 11 qu’il avait déjà été plus loin (que moi) sur la question du rapport entre terrorisme et démocratie :

« Cet utile travail [La Terrorisation] laisse néanmoins ouverte la question du rapport entre terrorisme et démocratie. En premier lieu parce que, si Guillon mène, avec la rigueur et l’ironie mordante qu’on lui connaît, la critique de la notion de “terrorisme ” dans ses successives définitions légales, la démystification de la notion de “démocratie” est tenue pour acquise, une fois énoncé qu’elle est “un mode de régulation du capitalisme”. C’est peut-être bien un peu court. D’abord, parce que tous ceux qu’intéresse la critique radicale des discours sécuritaires ne sont pas forcément familiers de la critique radicale de la démocratie. [...]

»On pourrait compléter utilement cette lecture [d’un livre de Léon de Mattis] par celle d’un texte dont je suis le principal rédacteur, et qui fut publié voilà vingt ans dans la revue Le Brise-Glace : « Le point d’implosion de l’idéologie démocratiste ». [...]

»Plus loin, j’écrivais, allant en effet... plus avant que Guillon dans la compréhension du lien entre démocratie et terrorisme : “On a vu que, dès leur naissance, les droits de l’homme, loin d’être indéterminés, appartenaient à une société donnée. (...) Les textes fondateurs, les gloses de spécialistes, les litanies journalistiques ne sont que la partie élaborée, la pointe émergée d’un iceberg social. L’instance symbolique en est partie intégrante. Le droit n’existe pas seulement dans les constitutions et les codes, mais aussi dans la tête des gens, cause et effet de leur "manière d’être en société". C’est parce qu’ils ignorent cette réalité que tant d’activistes minoritaires ou de rebelles au consensus démocratique se retrouvent écrasés sans comprendre. Le spectacle de l’anti-terrorisme qui les liquide n’est pas pure manipulation de maîtres considérant la société du haut de leur donjon”. »

Après avoir rappelé ce (long) préambule produit par Quadruppani lui-même à son livre La politique de la peur, et laissé aux lectrices et lecteurs le soin de décider s’il illustre assez les prétentions théoriques de l’auteur, il est inévitable de se poser la question suivante :

Faut-il considérer que Quadruppani, ayant depuis longtemps été « plus avant » que moi dans la compréhension du lien entre démocratie et terrorisme, a jugé tout à fait superflu d’aller encore plus loin dans l’ouvrage qu’il allait publier sur le même sujet un peu plus d’un an plus tard ? Ce que le lecteur, ainsi prévenu et mis en appétit, pouvait - me semble-t-il - légitimement attendre.

Or non seulement l’auteur ne va pas « encore plus avant », ce qui justifierait de publier un second livre sur le même sujet dans un délai aussi rapproché, mais il s’abstient de rappeler dans La politique de la peur ce qu’il rappelait sur le site Article XI.

La seconde question qui s’impose à l’esprit est la suivante : à quoi sert ce livre ?

Comme il n’apporte rien de neuf par rapport à un livre paru précédemment et que son auteur a renoncé à poursuivre une réflexion dans laquelle il proclamait son « avance », la réponse est simple : le livre sert au retour de Quadruppani sur la scène militante.

Absent de la scène militante parisienne [1] depuis une grosse dizaine d’années pour des raisons diverses, dont des démêlés avec certaines tendances de ce que la police nomme la « mouvance anrcho-autonome », lesquels démêlés lui interdisaient de se montrer dans bon nombre de manifestations ou de réunions sauf à en être viré manu militari, par ailleurs contrarié dans ses aspirations anciennes à la double reconnaissance, comme militant radical et comme écrivain, par les retombées des polémiques sur les convergences supposées entre ultra-gauche et négationnisme, Quadruppani fait son retour.

Comme disait ma grand-mère : « Faudrait pas vieillir ! » Las ! Qui peut se vanter d’échapper complètement aux ravages du temps. Celui qui passe et celui que l’on vit... Ainsi Quadruppani s’est-il encombré, au fil de ses années d’absence, d’une bimbeloterie foucaldo-négriste ; il parsème ses textes de « biopolitique » et d’« empire », comme si ces notions avaient gagné une pertinence à proportion de la fréquence de leur emploi dans les textes de la gauche de gauche branchée.

Quadruppani n’est plus révolutionnaire (ce qui, soit dit en passant, est une espèce de soulagement), il ne jure plus que par la « subversion ».

« Si l’histoire peut nous apprendre quelque chose, écrit-il, c’est bien que la conception de l’activité révolutionnaire comme une guerre (guerre de classe, guerre sociale...) conduit immanquablement à des défaites sanglantes et-ou à la transformation du révolutionnaire en kapo (ou en capo) d’un nouvel ordre oppressif. » (pp. 222-223) Preuve convoquée : la militarisation de la révolution russe et la répression de Cronstadt.

Dans mes souvenirs, déjà un peu lointains il est vrai, à l’époque du local associatif La Bonne descente ou au journal Mordicus (c’est-à-dire à l’époque où je l’ai fréquenté), j’aurais juré que Quadruppani était capable de parler avec une culture historique, et des nuances théoriques, des illusions militaristes, de la bureaucratisation de la révolution russe et des nécessités de l’action collective violente (que, par parenthèse, les soulèvements populaires dans les pays arabes ont illustrées à nouveau).

Quinze ans plus tard, ce sont des raccourcis misérables, des ratiocinations de chaisière ?

Ceux qui parlent de « guerre sociale » finiront assassins tchékistes, c’est ça ?

Et mon piolet dans la gueule, tu le sens, « camarade » ?

Dans une « Lettre à un jeune révolutionnaire » (13 décembre 2010, sur Article XI) Quadruppani écrit : « Je regrette que certains de mes amis, à qui j’avais proposé, après Gênes, de mener une réflexion commune, aient préféré s’adonner à plein temps au soutien de causes successives (de MacDo aux sans-papiers en passant par les Roms) sans prendre le temps de réfléchir au sens de ces actions et à la possibilité qu’elles s’intègrent dans un mouvement général de remise en cause du Vieux Monde. »

Que l’activisme doive être critiqué, je préfère en débattre avec celles et ceux qui agissent. Pour toutes les luttes que Quadruppani évoque, des réflexions ont été menées dans des revues, des brochures, des émissions de radio et des films. On peut certainement en faire la critique, certainement pas les ignorer. Ou alors, si l’on ne veut rien savoir, y compris via Internet, des productions d’un milieu que l’on se flatte d’avoir « fui », on la ferme.

Ayant ainsi des choses amères à dire du « milieu radical parisien », dont il déclare en effet « Je le fuis depuis des années » (j’ai rappelé pourquoi plus haut), Quadruppani pouvait être accueilli dans les colonnes du bulletin de l’Organisation communiste libertaire (OCL) Courant alternatif [2] laquelle, n’en finissant pas de solder son rapprochement avec les autonomes à la fin des années 1970, publiait récemment des critiques dérisoires des actions en faveur des sans-papiers.

C’est dans cette publication que l’auteur révèle ce qui fut selon lui le déclencheur de l’écriture de La politique de la peur : « C’est ça qu’il y avait d’intéressant et qui m’a donné envie d’écrire le bouquin, de voir qu’il y avait des tas de gens qui se sentaient concernés par cette affaire alors qu’ils n’étaient pas forcément idéologiquement très proches des gens de Tarnac, même souvent très loin. J’ai trouvé ça extrêmement nouveau et enrichissant de voir des assemblées où des gens de bords politiques quand même assez distants comme un maire du PC et un jeune autonome, se parler en se respectant. »

On tient là au moins un élément déterminant du trajet récent de Quadruppani : son grand retour passe par Tarnac. Il y a été comme je vous vois ! Ce qui, à son âge, force le respect. Si loin, si haut [3] !

Après cela, j’accorde que le fait que d’anciens collaborateurs de la revue Tiqqun, comble de l’avant-gardisme abscons et parisien, puissent incarner l’implantation rurale façon épicerie du village, mérite en effet d’être rapporté comme un véritable conte de fées des temps modernes...

Quant à s’extasier sur la sympathie suscitée dans la dite « opinion publique » pour les mis en cause de l’« affaire », c’est ou bien niaiseux ou bien hypocrite. Cette sympathie repose évidemment sur la croyance en l’innocence des personnes concernées et tournerait aussitôt à la réprobation navrée si la police atteignait ses objectifs. Il faut vraiment être con pour trouver ça « nouveau et enrichissant » !

Dans le même interview à l’OCL, Quadruppani affirme avoir « trouvé particulièrement mal venu et ridicule les critiques issues des milieux radicaux sur le fait qu’ils [ceux et celles “de Tarnac”] se défendaient sur le plan judiciaire. » Il est dommage que la forme de l’entretien à bâtons rompus ait dispensé Quadruppani de préciser à quoi ou à qui il faisait allusion.

Je n’ai pas souvenir d’avoir lu ce type de critique. Il est dommage également que Quadruppani ne dise pas ce qu’il pense des suites de la défense tarnacoise, non plus juridique mais politique, notamment les grotesques propositions « d’abolition des lois antiterroristes » et le non moins grotesque colloque à l’Assemblée nationale, auquel elles ont donné lieu. Parce que ça, je sais très bien qui l’a critiqué et comment. Mais peut-être faut-il aussi écraser une larme au spectacle de jeunes crétins pseudo-radicaux passant la carafe d’eau à des politiciens sur le retour, le tout dans le temple de la démocratie représentative ?

Un mot encore : étant donné un stalinien, je préférerai toujours qu’il m’adresse la parole plutôt qu’il me fusille. Qu’on n’attende pas que je baisse ma garde : je sais de quoi les gros porcs du SO de la CGT sont capables aujourd’hui.

Prems !

Quadruppani republie dans La Politique de la peur les articles qu’il avait écrit à chaud sur Tarnac dans divers médias, dont le très regrettable Siné hebdo, dont le malheureux semble croire que c’était un marchepied honorable vers Tarnac. Ici se situe une démonstration que j’ai quelque difficulté à qualifier, même après réflexion. Je cite : « Si les organes, les individus et les groupes radicaux ont vu immédiatement la manœuvre et l’ont fait savoir, je m’honore d’avoir été un des premiers, sinon le premier, à avoir publié dans un média non militant [Rue 89] un texte qui dénonçait la version policière et judiciaire de l’affaire dite de Tarnac. »

Quadruppani voit bien qu’il n’y aurait pas une gloire suffisante à avoir été, dans cette affaire, moins con et moins répugnant que Michel Onfray, autre collaborateur de Siné hebdo. Non, ce dont il se flatte c’est d’avoir publié, peut-être le premier un article critique dans un média non militant.

Euh... oui, Serge... Donc vous étiez peut-être le premier ? - Voilà ! Absolument ! Mais... à quoi faire exactement, Serge ? Ah ! Ben à publier ! Et a-tten-tion ! Pas n’importe où ! J’y insiste : dans un média non-militant. Bien, bien... Mais, sans vouloir vous froisser, Serge ! outre le fait que Rue 89 est marqué comme média, disons au moins « critique » ou « de gauche », en quoi le fait d’y défendre une thèse en rupture avec la version policière serait-il un acte d’une particulière... ?

Abrégeons ce dialogue imaginaire. Quadruppani tient à nous faire savoir qu’il a tenu à faire savoir publiquement qu’il ne croyait pas à la version policière des accusateurs de Julien Coupat. Fort bien, c’est son droit. Et alors ? Aurait-il été encore plus honorifique de publier ces textes dans Le Monde (comme les radicaux tarnacois en ont pris la risible habitude, longtemps après que le motif de l’incarcération de l’un des leurs soit caduque) ? Ou peut-être, mieux encore, dans la Gazette des notaires ? Faut-il s’extasier devant le carnet d’adresses de l’auteur ? A-t-il dû coucher ? L’honneur est-il proportionnel à l’écho médiatique ? Auquel cas, navré Serge, c’est Onfray qui l’emporte haut la main...

Si Quadruppani insiste à ce point sur son article de Rue 89 à propos de Tarnac, c’est probablement parce qu’à ses yeux il s’agit du premier acte décisif de son retour sur la scène militante française (via Tarnac, nous l’avons vu). Il a d’ailleurs pu participer sans encombre aux manifestations de rue parisiennes organisées autour de l’affaire, profitant de ce que l’atmosphère était plutôt, dans la mouvance, à « serrer les rangs » plutôt qu’à régler des comptes (et ce malgré la maigre popularité de Julien Coupat dans ladite mouvance parisienne ; j’emploie ici un euphémisme).

Tel l’aigle impérial, volant de clocher en clocher vers les tours de Notre-Dame, Quadruppani vole de plateau (télé) en plateau (de Millevaches) vers les sommets de la gloire.

J’ai parlé plus haut d’une double aspiration chez Quadruppani ; elle est à l’origine d’une profonde erreur d’appréciation. Il croyait, sincèrement, qu’on peut être à la fois un écrivain reconnu, participer à des émissions de télévision, mises en scène les plus pitoyables et caricaturales du spectacle, et rédiger des texte anonymes menaçant, par exemple, les journalistes de sévères représailles s’ils s’obstinent à se faire auxiliaires de police dans les manifestations (époque Mordicus). Reconnu socialement et fêté d’un côté, combattant sans concession de l’autre. Le charme de cette illusion est que l’on trouve assez vite comment mettre en scène pour le spectacle sa radicalité supposée, et plus facilement encore comment rentabiliser son carnet d’adresse.

Illusion, disais-je. Dont Quadruppani avait pu, pensais-je, mesurer tous les dangers, en sentant successivement le vent des deux boulets qui l’ont frôlé. J’avais cru comprendre, mais ne le fréquentant plus d’aucune manière j’ai été mal renseigné, qu’il avait plus ou moins renoncé à la voie militante, souriant doucement de ses supposées illusions révolutionnaires d’hier, et consacrant ses efforts à restaurer sa réputation d’écrivain. Des articles flatteurs rendant hommage à ses talents de plume ont pu lui faire penser (à tort, selon moi) que le temps des polémiques diffamatoires [4] était définitivement clos. L’affaire de Tarnac semble l’avoir fait replonger tête baissée dans ses erreurs précédentes. Il paraît prêt à nouveau à jouer le radical télévisé et la conscience militante des médias qui ne le sont pas.

...Et voilà tout l’enjeu de la publication de La Politique de la peur.

Peu de choses, en somme, n’étaient quelques dizaines d’arbres prématurément abattus.

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Réaction de S. Q., le 24 mai 2011, sur le site Article XI :

« Claude Guillon est une organisation à lui tout seul, avec les réflexes de toutes les organisations, il défend son bout de trottoir. Mais son bouquin, quoi que l’objet en soit limité, est bien fait. Je lirai ses attaques quand j’aurai le temps et ne perdrai certainement pas mon temps à lui répondre. Il fait ce qu’il peut pour exister sur la scène radicale parisienne, je la lui laisse volontiers. »

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[1] Ce qui ne préjuge évidemment pas de ses activités en Italie, par exemple, sans parler des États et Empires de la lune et du soleil.

[2] N° 210, mai 2011.

[3] Je sais, je suis vache. En réalité, Quadruppani s’implante ferme ! Ainsi, nous révèle Courant alternatif, maîtrisant mal son émotion, S. Q. « est impliqué dans l’organisation des Nuits du 4 août, à Eymoutiers (87), une petite bourgade de la haute Vienne, située en bordure du Plateau de Millevaches, ancien cœur du maquis de Georges Guingouin. » Le plus souvent, ce type d’information signale l’achat d’une maison de campagne dans la région concernée.

[4] Précisons, parce qu’on ne sait jamais par qui l’on est lu que Serge Quadruppani n’est ni antisémite ni agent d’influence caché d’une cinquième colonne rouge-brune, financée par le trésor caché des nazis, et destinée à rapprocher l’ultra-gauche (ou l’extrême-gauche ou les cellules invisibles de l’iceberg...) des résidus du nazisme français.

« La compréhension des processus de répression ne doit pas nous empêcher de voir ce qui fait tenir le système par ailleurs »


Discussion avec Serge Quadruppani publiée dans Courant Alternatif numéro 210 (mai 2011)

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La répression est-elle une des clés de compréhension de la période actuelle par les effets désastreux qu’elle produit, notamment ce sentiment d’échecs que rencontrent un grand nombre de résistances actuelles et le recadrage qui s’opère entre celles et ceux qui jouent le jeu très limité des institutions, pouvant devenir ainsi des appendices de l’Etat et celles et ceux qui ne le jouant pas risquent la marginalisation et l’impuissance politique ? Le Warfare se serait-il imposé comme mode de gouvernement sur les cendres du Welfare ? Le Welfare, c’était le modèle de gouvernement de nombreux pays occidentaux au lendemain de la deuxième guerre mondiale, une période de reconstruction et de développement de la consommation, sur fond de peur du communisme. La séparation entre le Bien et le Mal était matérialisée par le rideau de fer. L’ennemi était visible depuis un simple mirador de la Lande de Lüneburg ou des quais de la Spree à Berlin. Mais voilà, ce modèle du Welfare s’est épuisé dans les années 70, dans la foulée de Mai 68, dans une période où les Partis communistes ne faisaient plus peur à la classe dirigeante et qu’ils se révélaient ouvertement comme des défenseurs du vieux monde de plus en plus incapables d’encadrer les nouveaux secteurs de la classe ouvrière comme les OS qui occupaient alors une place importante dans la production. Le Warfare, c’est cet état de guerre permanent où l’ennemi est partout et nulle part. Il peut aussi bien être tapi derrière le comptoir d’une petite épicerie du Plateau de Millevaches qu’à l’ombre du minaret d’une mosquée d’une métropole d’Europe occidentale ou encore dans les caves d’un immeuble de quartiers populaires rebaptisés, « quartier sensible » pour l’occasion. Ce modèle s’appuie d’une part sur une industrie puissante, celle de l’armement et de la sécurité et d’autre part sur l’idéologie du choc des civilisations. Il est visible quotidiennement avec la multiplication des caméras de vidéosurveillance, la militarisation des forces de sécurité ou encore le déploiement de parachutistes dans certaines gares ou aéroports.
Nous avons discuté de tout cela avec Serge Quadruppani qui est un observateur avisé de ces politiques qu’il a questionnées notamment à travers trois livres, écrits dans trois périodes différentes. Dans « Un coupable idéal : Knobelspiess », il démontait l’accusation contre Roger Knobelspiess, symbole de la lutte contre les Quartiers de haute sécurité, accusé de hold up sur fond d’acharnement policier et judiciaire (3). Dans « L’antiterrorisme en France, ou la terreur intégrée », il questionnait les méthodes répressives mises en place par nos gouvernants, sur fond d’attentats à Paris, liés au contexte du Moyen Orient mais en fait la conséquence d’un contentieux commercial entre la France et l’Iran. Il y avait aussi dans cette période là, les assassinats de militants basques par les barbouzes du GAL (Groupe antiterroriste de libération) (4). En 2011, il refait le point sur ce sujet dans son dernier ouvrage, « La politique de la peur » . Entre les deux derniers livres, il y a eu le 11 septembre 2001, les détentions arbitraires et l’usage de la torture assumés par des gouvernants « décomplexés », le discours sur le choc des civilisations et l’islamophobie qui en découle.

Christophe :
Qu’est ce qui a changé entre la publication de ton livre en 1989 sur l’antiterrorisme et 2011 ?

Serge Quadruppani :
Plusieurs choses ont changé. D’abord, les capacités de contrôle se sont surmultipliées avec le développement des fichiers, de la traçabilité, notamment la traçabilité ADN, tout comme les téléphones portables qui sont de véritables petits espions personnels. Il y a eu un développement des capacités de contrôle qui sont incomparables par rapport à ce qui existait pourtant déjà en 1989. Mais la question quand je parle de capacité de contrôle, c’est qui contrôle ? En réalité, il ne faut pas avoir une vision ultra-monolithique de l’Etat. On peut dire que l’Etat fonctionne en réseau et que celui-ci est assez informel par certains cotés... Les contrôleurs sont incontrôlables et ne savent même pas eux même ce qu’ils contrôlent et par qui ils sont contrôlés. Prenons l’exemple des fichiers avec la tendance à l’interconnexion généralisée... Savoir qui a accès à tel fichier en passant par tel autre devient un casse tête presque impossible d’autant qu’il n’y a aucun système qui est vraiment étanche, qu’il y a des logiques autonomes parce que d’une part il peut y avoir celle des services de police, mais ceux-ci se concurrencent entre eux, et d’autre part il y a une tendance très nette à la privatisation qui fait qu’une bonne partie des taches de sécurité sont fait par des gens qui n’ont pas tout à fait une logique étatique et que pourtant ces gens là peuvent être amenés à utiliser des systèmes de contrôle et de surveillance qui sont uniquement du ressort de l’état mais qu’ils piratent, ou qu’ils aient des complicités ou leur propre matériel..... Donc ce qui est fascinant, c’est qu’on a une société de contrôle de moins en moins centralisée, d’une certaine manière, c’est à dire qu’il y a effectivement des services centralisés mais on a l’impression qu’il y a une logique qui échappe... qu’il n’y a pas de chef ultime dans ce système. En même temps, on peut dire aussi que s’il n’y a pas de chef ultime dans le sens de quelqu’un qui détient tous les boutons, il y a des personnages qui ont à la fois un pouvoir institutionnel et médiatique, au premier rang desquels, Sarkozy qui est une espèce de personnage qui incarne une idéologie, qui incarne le néolibéralisme, l’oligarchie décomplexée et avec cet espèce de discours permanent, arrogant, de l’obligation de résultat qui entraine en cascade toute une série de comportements à la fois des comportements imitatifs, de peur et de désir d’en rajouter... On est frappé de voir que souvent, beaucoup de gens agissent en petits adjudants du sarkozysme , c’est à dire qu’ils veulent se distinguer en en rajoutant par apport aux consignes du chef. C’est un phénomène très courant dans les structures autoritaires et qu’on voit à l’œuvre... Bon, on ne va pas utiliser la rhétorique des heures les plus sombres de notre histoire parce qu’elle est complètement inadéquate mais il n’en reste pas moins que la figure du criminel de bureau comme Hannah Arendt a pu en parler à propos de Eichmann, ça reste un modèle... Il y a de tous petits Eichmann partout dans les administrations, depuis les préfets qui veulent à tout prix atteindre leur quota d’expulsions jusqu’aux gens qui prennent des initiatives aux guichets pour s’en prendre à des sans papiers, jusqu’aux voisins vigilants qui dans le programme de la gendarmerie sont chargés d’espionner, de faire en sorte que tout le monde espionne tout le monde. Ce qui a changé, c’est qu’il y a un développement exponentiel des formes de contrôle mais est-ce que ces formes de contrôle sont contrôlées et est-ce qu’elles contrôlent réellement, ça, c’est toute la question.

Peut-on parler de Warfare par rapport à la période actuelle ?

Depuis le 11 septembre, on pourrait appeler warfare ce secteur économique (production militaire et des moyens de contrôle) et le modèle idéologique. Mais à mon avis ce modèle est déjà en crise. Puisque ce qui le met en crise, ce sont les révolutions arabes. Elles viennent démentir quelques uns des présupposés sur lesquels reposait le warfare avec l’idée sous jacente du choc des civilisations puisque finalement le terrible islamiste qui se cachait derrière n’importe quel passant de la rue arabe s’est révélé quelqu’un qui aspirait plutôt au contrôle de sa vie, à la rappropriation de sa propre vie et qu’il aspirait avant tout à rejeter le despotisme et ces despotes qui étaient censés être des remparts contre l’islamisme et qu’on n’a pas beaucoup vu d’islamistes dans ces révolutions... Alors ce qui est sûr, c’est que les puissances occidentales tentent de contrôler ces mouvements de diverses façons et qu’il n’est pas impossible que comme elles l’ont déjà joué plusieurs fois, les islamistes les aident à en reprendre un contrôle. Mais en tous les cas, le modèle du warfare était déjà en crise avant, de plusieurs manières d’abord parce que la régression générale du droit de la forme de civilisation qui existait depuis les Lumières, depuis le 18 ème siècle, cette régression générale, comme par exemple l’interdiction générale de la torture qui a été abandonnée très ouvertement avec des arguties juridiques ridicules, cette régression a quand même provoqué un choc en retour, y compris au sein des populations occidentales et d’autre part sur le plan économique, le warfare a entrainé un surendettement du principal fauteur de trouble de la planète, les Etats Unis, et a aggravé une forme de déséquilibre qui n’est pas tenable à la longue. Le principal débiteur de la planète, sont les Etats unis et en même temps ils sont le shérif. Et le shérif qui doit du fric à tout le monde, au bout d’un moment, c’est une situation très étrange... On ne sait pas trop encore comment elle va se résoudre mais elle a manifesté ses limites. C’est clair que les Etats unis ne peuvent plus décider d’intervenir comme ils veulent, quand ils veulent comme ils l’avaient affirmé au moment de la guerre d’Iraq. Ce qui est intéressant, c’est qu’il n’y a pas vraiment de puissances de remplacement. Il y a une espèce de magma généralisé des pouvoirs...Pour essayer de conceptualiser le système de pouvoir au niveau mondial, je parle de l’Empire. Mais c’est un étrange empire puisque c’est un empire qui a de moins en moins de centre.

La répression est-il un mode de gouvernement, actuellement ?

Je suis perplexe devant le discours qui dit que la répression s’accentue. Depuis les années 70 et le discours sur la fascisation de l’Etat que tenaient les maos, je trouve que dans nos milieux, on passe notre temps à dire que la répression s’accentue. Je pense que la répression existe toujours, qu’elle prend des formes différentes, qu’elle prend des visages différents et que ce qui est intéressant, c’est d’analyser leur changement. Mais concevoir sans arrêt la situation en terme de fascisation, je trouve que ça ne fait pas beaucoup avancer parce que depuis le temps que l’Etat se fascise, on devrait être dans le fascisme. Or je pense que la compréhension des processus de répression et de contrôle ne doit pas nous empêcher de voir aussi ce qui fait tenir le système par ailleurs. Le système ne repose pas uniquement sur la répression et c’est pour ça que la répression ne s’accentue pas sans arrêt, à chaque instant. Le moment Sarkozy est effectivement un moment où on montre les muscles.

C’est vrai que par exemple avec la répression dans les banlieues, on gâche encore plus qu’avant la vie des gens. Mais pendant les émeutes de 2005, il n’y a pas eu de morts ou alors s’il y en a eu, parce que dans ce cas là, il y a toujours des discours sur les morts qu’on a cachés mais en tous les cas, il n’y a rien eu de comparable avec ce qui se passe aux Etats unis dans des cas pareils où la police n’hésite pas à tuer. Et là, visiblement, la police avait l’ordre de faire tout ce qu’elle voulait mais pas de tuer. On a l’impression que ça fait partie de la gestion des quartiers dits difficiles par la police et qu’ils ont carte blanche sauf qu’il ne faut pas tuer. De temps en temps, ils tuent parce qu’il y a toujours les morts par les dites bavures mais quand même, la volonté, c’est d’éviter ça au maximum. Ca, c’était jusqu’à présent. On ne sait jamais ce que nous réserve Sarkozy avec l’approche des élections. Tout est possible. Il peut aussi décider qu’une bonne séquence d’émeutes en tuant quelques jeunes pourrait lui être profitable. Il faut toujours voir les deux cotés des choses. Mais le monde ne tient pas uniquement sur la répression. Il tient aussi sur une forme de positivité qu’il apporte aux gens : la consommation ou le rêve consommatoire qui est quand même essentiel. C’est le "care" si cher à Martine Aubry. Il y a malgré tout une forme d’Etat social qui continue à exister. C’est important de comprendre comment toute la société de contrôle se développe, s’étend mais c’est important de comprendre aussi ses limites et de comprendre que la société ne repose pas que sur le contrôle. Et qu’il nous appartient à nous à la fois de trouver des moyens, des formes d’affrontements avec l’Etat qui ne soient pas sur son terrain, c’est-à-dire, ne pas jouer à la guerre parce que sur ce terrain, l’Etat gagne toujours, ce qui ne veut pas dire que je suis non violent et à la fois trouver des formes d’affirmation, d’association qui nous donne le sentiment d’échapper au système consommatoire, au système de crédit, au système qui nous fait accepter les contrôles.

Comment analyses-tu ce déploiement policier et médiatique à Tarnac ?

Ce n’est pas par hasard s’ils s’attaquent à des gens qui sont aussi porteurs, eux et beaucoup d’autres autour d’eux de cette envie de construire des réseaux de relations, des rapports qui sont porteurs d’autres choses que le système de vie « positif », que le système nous propose. C’est pour ça que la bataille judiciaire de Tarnac est une bataille directement politique. Elle appuie là où le système est faible. C’est pour ça que j’ai trouvé particulièrement mal venu et ridicule les critiques issues des milieux radicaux sur le fait qu’ils se défendaient sur le plan judiciaire... A ma connaissance, ils ne disent ni qu’ils sont innocents, ni qu’ils sont coupables et qu’on ne peut pas les poursuivre sur les charges qui pèsent sur eux. Il me semble que c’est extrêmement limité de passer son temps à être en permanence dans une posture de dénonciation qui refuse de voir les contradictions du système judiciaire lui-même mais simplement d’être dans la pure dénonciation qui dit que c’est l’Etat du capital, donc nous sommes ses ennemis et puis voilà. A mon avis, c’est une posture complètement stérile parce que ça veut dire qu’on passe son temps à fabriquer des martyres - le terme n’est pas à pas à employer pour eux - mais ça veut dire qu’on passe son temps à fabriquer des prisonniers du capital, des prisonniers de l’Etat et qui refusent de se défendre même en tant que politiques parce qu’il faut libérer tous les prisonniers...

Il y a une espèce de maladie du discours qui fait qu’on ne peut plus prononcer un mot sans que chaque mot ne soit totalisant. Il faut qu’à chaque fois qu’on utilise un terme, il fasse référence à la totalité, au fait qu’on est contre tout et surtout pas se défendre sur un détail et ça, ça me semble fou comme logique, à la longue. Le résultat, c’est qu’on passe son temps dans les tâches de défense contre la répression et il me semble qu’on aurait mieux à faire que ça. C’est indispensable de défendre tous les gens qui tombent sous les coups de la répression, comme ils disent, mais on peut aussi le faire intelligemment.

Mais à Tarnac, l’opération sur le plan médiatique n’a-t-elle pas échoué notamment par le fait que les personnes arrêtées étaient liés au territoire sur lequel elles vivaient et qu’elles ont été soutenues par des gens très divers, bien au-delà de la scène radicale ?

C’est ça qui a fait échouer l’opération du pouvoir et c’est ça qu’il y avait d’intéressant et qui m’a donné envie d’écrire le bouquin, de voir qu’il y avait des tas de gens qui se sentaient concernés par cette affaire alors qu’ils n’étaient pas forcément idéologiquement très proches des gens de Tarnac, même souvent très loin. J’ai trouvé ça extrêmement nouveau et enrichissant. de voir des assemblées où des gens de bords politiques quand même assez distants comme un maire du PC et un jeune autonome, se parler en se respectant. Nouveau, en tout cas, par rapport au milieu radical parisien que je fuis depuis des années. Ce qui est important, c’est d’arriver à être porteur de projets qui ne soient pas des projets de pure alternative, dans le sens de s’aménager une niche dans la société dominée mais qui soient porteur de projets de vie et de mise en relation du maximum de gens en n’étant pas crispés sur des identités politiques, sur des identités révolutionnaires, en acceptant un certain nombre de flous d’où doivent sortir, on peut l’espérer, de nouveaux éclaircissements. Mais en tous les cas, passer son temps dans l’affrontement principiel avec la société me semble sans avenir.

Comment vois-tu la période actuelle ?

Je pense que depuis quelques années, il y a un renouveau de l’intérêt pour les théories radicales qui peut prendre parfois des formes un peu ridicules comme la mode de Badiou mais c’est un révélateur d’un besoin nouveau. Je suis rentré dans la vie et dans la critique sociale en même temps, à travers les cahiers Spartacus qui étaient porteur d’une tradition communiste de conseil, luxembourgiste. René Lefeuvre, l’animateur de ces cahiers, me disait que juste avant 68, il avait constaté que pendant tout l’après guerre, il publiait un ou deux bouquins par an qui restaient entassés dans ses caves, qu’il ne vendait pas et que tout à coup deux ans avant 68, il avait constaté que ses bouquins, de nouveau, se vendaient et qu’il avait même pu éditer de nouveaux titres alors qu’il avait arrêté. Ca me fait penser à ça, le climat qui s’est créé. On est sorti du grand trou des années 80 et on sort du contre coup du 11 septembre, notamment avec le printemps des peuples arabes. Il y a un renouveau de la contestation. L’histoire de Madison (5), par exemple. Il y a également un réveil en Angleterre. En Italie, le mouvement de l’Onda (6) n’est toujours pas retombé. La Grèce, etc. C’est clair qu’il y a un renouveau de la contestation sociale radicale qui cherche ses formes. Qu’il y ait de la répression face à ça, il n’y a pas à s’étonner. C’est très important de se battre contre la répression mais il ne faut surtout pas y passer son temps, se mettre dans l’optique de « On va vers un fascisme », cette espèce de discours anxiogène permanent qu’il y a dans des milieux militants complètement paranoïaque est à mon avis, ni vrai, ni faux.

Les gens de Tarnac ne se sont pas isolés. Quand le marteau pilon leur est tombé dessus, ils ont bénéficié de beaucoup de solidarité parce que c’étaient des gens qui avaient su à la fois se lier à la situation locale tout en gardant des contacts internationaux. Je crois qu’aujourd’hui, c’est fondamental. De même on peut aussi retourner la techno science contre elle-même avec les techniques de connexion qui existent. J’aime mieux dire connexion que communication. Parce que c’est à nous de décider s’il y a communication ou pas. Dans la novlangue, la communication, c’est un mouvement univoque, c’est quand le pouvoir parle. Aujourd’hui, avec tous les systèmes de connexion existants, on a encore plus la possibilité de se désenclaver. Il faut vraiment la saisir. C’est notre arme principale.

Propos recueillis par Christophe


(1) Le 11 novembre 2008, les cagoulés de la police, notamment ceux de la SDAT (Sous-direction anti terroriste) investissent le village de Tarnac en Corrèze et la ferme des Goutailloux située sur cette petite commune. Dix personnes sont interpellées et expédiées aussitôt à Paris pour être interrogées dans les locaux de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) dans le cadre d’une procédure antiterroriste. La plupart seront ensuite écrouées après plusieurs jours d’interrogatoire (procédure d’exception). Hormis la faiblesse du dossier d’accusation à l’encontre des inculpés, cette affaire pose aussi la question de la définition même du terrorisme. En effet cette procédure concerne une panne de courant ayant provoqué le retard d’un train à grande vitesse. Bien sûr cette panne a été provoquée intentionnellement et constitue bien une infraction. Comment celle-ci peut être définie comme relevant d’un acte de « terrorisme » ? C’est bien une des questions importantes de ce dossier, en dehors même des personnes incriminées.

(2) Serge Quadruppani, La politique de la peur, Seuil, 2011

(3) Serge Quadruppani, Un coupable idéal : Knobelspiess, Maurice Nadeau, 1985

(4) L’antiterrorisme en France, ou la terreur intégrée, La Découverte, 1989

(5) Madison est la capitale du Wisconsin, aux Etats Unis. Scott Walker, le gouverneur Républicain fraîchement élu entendait frapper un grand coup : sous prétexte de réduire le déficit et relancer l’économie sans augmenter les impôts, il voulait offrir des réductions de taxes pour les entreprises et faire payer la note aux travailleurs du secteur public ainsi que réduire la contribution de l’État au Medicaid, le programme d’assistance médicale aux plus démunis et aux personnes souffrant d’handicaps. En février dernier, les travailleurs du secteur public du Wisconsin et leurs alliés ont investi la rotonde du Capitole (le parlement), un espace généralement ouvert aux manifestations publiques. Ils y organisent une occupation durable, improvisant dortoirs, atelier de fabrication de panneaux, centre d’information. Lorsque la capacité maximum des lieux a été atteinte, ils ont formé une file à l’extérieur, encerclant ainsi le bâtiment. Très vite le mouvement a pris de la vitesse et de la force. Les enseignants et les employés ont été rejoints par les étudiants. Les manifestants ont multiplié les références au mouvement égyptien de la Place Tahrir. Le mouvement s’est ensuite étendu à d’autres secteurs.

(6) Le mouvement auto baptisé Onda anomala(« Vague anormale ») a démarré en octobre 2008, en Italie, à partir de luttes dans l’université qui ne sont pas sans rappeler ce qui s’était passé précédemment en France avec la lutte contre le CPE, une auto organisation d’étudiants et de précaires dans l’université.